Les IWW dans la grève générale de Seattle de 1919

Strikers gather groceries as the strike begins.Une tentative de compréhension de l’implication réelle des IWW [Industrial Workers of the World, Travailleurs Industriels du Monde, syndicat révolutionnaire, regroupant des travailleurs/euses non qualifiés par branche industrielle] dans la grève générale de Seattle de 1919, tentative entravée par les mythes créés par la presse capitaliste et les leaders syndicaux de l’AFL de l’époque [American Federation of Labour, Fédération Américaine du Travail, qui regroupe essentiellement des travailleurs qualifiés dans des syndicats de métier, sur une base réformiste].

La grève générale de Seattle est un événement très important dans l’histoire du Nord-Ouest du Pacifique. Le 6 février 1919, les travailleurs/euses de Seattle devinrent les premierEs dans l’histoire des Etats-Unis à participer à une grève générale officielle. Cependant, beaucoup de gens savent très peu, si ce n’est rien, sur cette grève. Il est possible que le caractère capital de l’événement ait été perdu du fait de l’absence de violence, ou peut-être est-ce parce qu’il n’y eut pas de changements visibles dans la ville à la suite de l’événement. Mais la grève est une étape importante pour le mouvement ouvrier aux États-Unis, ne serait-ce que pour ce qu’elle représente. Les travailleurs/euses ont exprimé leur puissance à travers une action massive de solidarité, et ont démontré à la nation la puissance potentielle de la main d’oeuvre organisée. C’était une époque où les travailleurs/euses étaient généralement diviséEs selon des lignes idéologiques qui les empêchaient de parvenir très souvent à de telles actions de masses.
Pour beaucoup à l’époque, cependant, la grève représentait quelque chose d’autre: quelque chose de plus sinistre et extrême. Pour beaucoup des locaux/ales de Seattle, la grève était le début d’une tentative de révolution par les «IWW » et d’autres ayant les mêmes tendances radicales. Ces gens virent l’échec de la grève comme le triomphe du patriotisme dans la face du radicalisme parti trop loin. L’obstination de ces conservateurs/rices à voir les IWW derrière la grève à ce moment-là a créé un mystère quant à l’importance réelle du rôle des « Wobblies » [surnom donné aux membres des IWW] dans la grève générale de Seattle.

S’intéresser à cette question apparemment simple entraîne d’autres questions,  uxquelles il était difficile de répondre en 1919, et auxquelles il est encore plus dur de répondre  maintenant, 80 années après les faits. Comment un conflit ordinaire entre les ouvriers des chantiers navals et les propriétaires s’est-il transformé en un évènement de la magnitude d’une grève générale? Combien de celles et ceux qui contrôlaient la grève étaient engagés avec les IWW, ou sympathisaient avec leur cause? À quel point l’attitude des leaders corrélait-elle avec celle de la base des ouvrierEs de Seattle ? Au final, il est difficile d’imaginer comment les « Wobblies » auraient pu provoquer la grève générale, comme beaucoup les ont accusés de faire à l’époque. Les historienNEs ont suggéré que la grève avait été organisée par les syndicats AFL à Seattle, et que les « IWW » n’avaient pas joué de rôle significatif. C’est la position générale offerte par les officiels syndicaux de l’AFL au sein de la direction interne de la grève. La vérité sur la place des IWW dans la grève générale se
trouve le plus probablement quelque part entre les sentiments remplis de paranoïa des conservateurs/rices, et la revendication de ces leaders de l’AFL qui ont passé des années à prétendre que les IWW n’avaient pas eu d’influence sur le mouvement. Une  compréhension plus profonde de tout cela commence par quelques rappels sur l’histoire du mouvement ouvrier à Seattle, ainsi que sur la place des IWW au sein du mouvement.

La fin du 19ème siècle vit l’avènement du Nord-Ouest Pacifique. De l’or fut découvert en Alaska, l’industrie forestière florissait, la ligne de chemin de fer Nord-Pacifique fut terminée, Washington obtint le statut d’État, et Seattle fit sa place sur la carte. Les eaux de Puget Sounds firent de Seattle un port clé pour le transport du bois dans les années 1880 et 1890, et tout de suite après, un premier arrêt pour les mineurs sur leur route de l’Alaska et qui espéraient faire fortune. Seattle et toute la région développa une culture unique ainsi qu’un mode de vie propre.

Une part de cette culture était un radicalisme du mouvement ouvrier qui dépassait celui des mouvements ailleurs. De nombreux travailleurs/euses du Nord-Ouest, et en particulier ceux de l’instable et changeante industrie du bois, étaient des migrantEs. Des organisations industrielles furent formées en partie dans le but de lutter contre le travail organisé, en maintenant les salaires bas et les conditions de travail précaires. Les Industrial Workers of the World entrèrent dans cette arène dans le but de développer la conscience de classe chez les travailleurs/euses et de les organiser en « Un Grand Syndicat » [le fameux mot d’ordre : « One Big Union »]. L’économie frontalière de l’Ouest amena alors aux IWW, au début du 20ème siècle, de nombreux travailleur/eusess qui écoutaient leurs idées avec les oreilles et l’esprit ouvert.

Pendant approximativement les 15 premières années du siècle, les IWW développèrent et maintinrent une présence très forte, non seulement dans le Nord-Ouest, mais aussi dans d’autres régions à travers les États-Unis. En utilisant des tactiques comme le combat pour la liberté d’expression et les manifestations, les membres des IWW ont tourné dans le Nord-Ouest en prêchant leurs idéaux et en essayant de s’établir dans différentes communautés. Pendant les années qui précédèrent la première Guerre Mondiale, les IWW
devinrent craint et haïs par certains segments de la société. Les idées qu’ils/elles épousaient étaient contraires aux idéaux américains de liberté et de capitalisme. Dans son livre « « Rebels of the wood » Robert L. Tyler a décrit l’opposition à laquelle se trouvèrent confrontéEs les IWW. « Ce mythe Jeffersonien au coeur de cette société post-frontalière était en fait bien plus menacé par le boom des lignes de chemin de fer et le début de l’exploitation capitaliste à grande échelle des ressources de la région que par la  rhétorique des IWW. Mais les IWW apparurent, de façon presque providentielle il semblerait, comme des boucs émissaires ».

Dans des villes comme Everett et Spokane, le combat contre les IWW devint violent. En 1909 un combat pour la liberté d’expression se termina par de nombreuses arrestations et des raids sur les locaux des IWW alors qu’en 1916 des membres des IWW se battirent avec des opposants à Everett. Les violences à Everett firent des morts et des blessés des deux côtés. Cet épisode fut juste un incident où la présence des IWW dans une communauté tourna à la violence.

En 1919, les IWW étaient considérés par beaucoup comme étant une organisation radicale et dangereuse qui travaillait avec l’objectif de déclencher une révolution. La révolution russe par les Bolcheviks en 1917 renforça les peurs des conservateurs/rices américainEs et créa une menace rouge à travers le pays. En faisant l’éloge des événements en Russie, les IWW devinrent bientôt associés à la révolution. Un conservateur de Seattle nommé Edgard Lloyd Hampton écrivit un article dans le Saturday Evening Post 2 mois après la grève générale dans lequel il blâmait les IWW et d’autres radicaux/ales pour ce qui s’était passé. Hampton prétendait, « les I.W.W. eux-mêmes se sont ouvertement vanté du fait que la révolution avait été planifiée dans un bureau d’un avocat de Seattle, conseiller de l’organisation… ». Ce sentiment, qui était plutôt commun chez la population en dehors des cercles du mouvement ouvrier, perpétua l’idée qu’un évènement comme une grève générale était réellement une tentative de révolution.

Alors que les gens peuvent avoir exagéré l’implication des IWW dans la grève générale de Seattle, l’histoire des Wobblies dans les mois et les années qui ont précédés la grève fournit aux opposantEs des munitions et des preuves pour soutenir leurs vues. Les membres de l’IWW n’ont jamais esquivé les confrontations avec leurs opposantEs et ont fait ouvertement connaître leurs idées radicales. En août 1918, les IWW furent accuséEs de comploter une grève générale de mineurs et de bûcherons à travers l’Ouest. Trente-deux
Wobblies furent arrêtés à Spokane en lien avec le complot. Des tas de Wobblies furent arrêtéEs après que des lois anti-sédition furent passées par le gouvernement. Le même mois que celui où le complot fut découvert à Spokane, 70 membres des IWW furent emprisonnéEs à Seattle pour « investigation gouvernementale pour suspicion de sédition ».

Il y eu aussi des rapports faisant état d’une réunion de masse à Tacoma du conseil des  soldats, marins et travailleurs/euses de Tacoma où les intervenantEs, incluant des  représentantEs des IWW, poussèrent à « un renversement pacifique de la forme de gouvernement actuel aux États-Unis et à l’appropriation des industries du gouvernement par la classe ouvrière ». Un article dans l’ « Oregonian » le 13 janvier 1919 rapporta une réunion de « Bolcheviques » à Seattle au croisement de la 4ème et de Virginia où les intervenantEs poussèrent à une grève générale pour empêcher l’envoi de matériel en Sibérie pour l’armée qui résistait là-bas aux Bolcheviques.

Une interview de Frank L. Curtis quelques années après la grève montre comment certainEs ont présumé que les IWW étaient directement derrière la grève. Il raconta comment son père, un conservateur de Seattle, croyait que la révolution était sur le point d’éclater, et admit que ces croyances étaient encouragées par les « troubles liés aux IWW » dans les années précédentes plutôt que liées aux faits eux-mêmes, au début de 1919. Il décrivit : « l’étonnement très grand après que la grève fut finie de voir à quel point des bonNEs et respectables travailleurs/euses avaient suivi la voie des IWW…Personne ne comprenaient alors comment les IWW l’avaient organisé. »

Alors que ces sentiments étaient des opinions exagérées qui découlaient de peurs  conservatrices et d’incompréhensions, il y a une preuve historique qui suggère qu’il y avait des Wobblies et d’autres radicaux/ales qui étaient plus impliquéEs que ce que prétendait la plupart des sources secondaires. Des rapports d’espions indiquent qu’ils participèrent de façons variées, incluant la participation à des meetings, la distribution de littérature, ainsi que des prises de paroles diverses au sujet de la grève. Un rapport prétendit que des membres de l’IWW se réunissaient avec les leaders de la grève à Seattle et à Tacoma.

Des rapports indiquent encore la circulation de matériel des IWW aux réunions du Conseil Central Ouvrier et le collage de propagande des IWW lors du vote par les soldats et les marins pour le soutien à la grève générale le 28 Janvier. Un rapport suggère même que le président de la Fédération du Travail de l’État télégraphia aux officiels internationaux de l’AFL en prétendant que le mouvement de grève était organisé par les IWW et des leaders de l’AFL qui était des sympathisants des IWW. Ce rapport prétend aussi qu’il demanda de l’aide pour contrôler la situation et empêcher les IWW de prendre le contrôle du mouvement ouvrier à l’AFL à Seattle. Ces rapports suggèrent que les IWW jouaient un rôle dans la campagne pour la grève générale, et que les Wobblies possédaient une influence considérable sur la scène ouvrière de Seattle.

Un autre rapport d’espions décrit une réunion des IWW qui eut lieu le 1er janvier 1919, alors que les leaders ouvriers à Seattle considéraient la possibilité d’une grève générale. Une prise de parole de Walker Smith, un Wobbly connu à Seattle, était rapportée, et alors qu’il était cité comme faisant les louanges des IWW et encourageant ses auditeurs/rices à soutenir une grève générale, il n’y avait absolument aucune indication d’après ses paroles que les IWW menait la grève. Les mots de Smith reflète le fort sentiment des IWW de la
nécessité d’une grève générale et il pointa les événements de Russie en disant : « Regardez la Russie ! Quand les travailleurs/euses, les soldats et les marins s’organisent en masse, ils et elles mettent fin à l’esclavage humain et au capitalisme. Les travailleurs/euses peuvent le faire partout s’ils/elles le veulent ».

Une autre raison pour laquelle beaucoup furent tentéEs d’accuser les IWW était la connexion que les gens avaient dans leurs esprits entre les IWW et les actions de grande échelle comme les grèves générales. La grève générale comme action stratégique était une arme importante de l’arsenal des IWW bien qu’ils/elles ne l’avaient jamais vraiment utilisée. Le blocage de toutes les industries était une étape importante dans le but de parvenir au type de système économique désiré par les Wobblies. Leur littérature,  cependant, ne comportait pas l’usage de la force comme moyen d’arriver à leurs fins. Les IWW voyaient plutôt l’action directe résultant de la conscience de classe comme le travail de base nécessaire pour une grève générale. La grève générale comme un idéal représentait le type de solidarité entre les travailleurs/euses que les Wobblies voulaient voir aux États-Unis. Cette acceptation de l’idée d’une grève générale était en partie ce qui conduisit tous les gens à pointer les IWW quand la grève générale arriva en 1919. Un  article, qui faisait la liste des méthodes et des principes des IWW, mentionnait la grève générale, en disant que les méthodes de l’organisation incluaient « l’usage habituel de la grève – et en particulier la grève générale – pas tellement pour remédier aux revendications spécifiques ou pour établir des améliorations des conditions de travail  mais plutôt pour mettre hors d’usage et ruiner les employeurs et paralyser les industries du pays. » Ce type de sentiments révèle l’association que beaucoup de gens faisaient entre l’idée de la grève générale et la perception d’un radicalisme révolutionnaire chez les IWW.

Bien que les Wobblies parlaient plus de l’usage de la grève générale que les autres  syndicats contemporains, ça n’était pas quelque chose hors du cadre des possibles pour les syndicats de métiers de l‘AFL. Les actions de grande échelle et les grèves de solidarité étaient d’usage dans l’histoire du mouvement ouvrier, et cela continuerait à avoir lieu dans les années futures. Les grèves générales arrivèrent plus tard dans les autres villes des États-Unis, San Francisco incluse. Dans le cas de Seattle, les divers syndicats se  joignirent en solidarité, franchissant les lignes du syndicalisme de métier qui avait auparavant rendu les grandes grèves relativement rares. Un article de l’ « Union Record » paru fin janvier avant que la grève ne soit déclenchée raconte comment le Conseil Central Ouvrier débattait pour savoir si la grève générale devait être une grève de solidarité ou bien une grève de masse.

Cette question ne fut jamais vraiment résolue. En fait, l’incapacité de proclamer des  objectifs clairs pour la grève était une autre raison pour laquelle les gens trouvaient facile de spéculer que les IWW étaient derrière. De plus, si une grève générale devait se produire n’importe où aux États-Unis, Seattle était la ville où elle pouvait se produire le plus facilement. L’environnement de Seattle, éloigné des autres régions, s’ajoutant au radicalisme qui caractérisait l’ensemble du mouvement ouvrier à Seattle, faisait de la ville un bon terrain d’essai pour une grève générale. La classe ouvrière de Seattle était fermement enracinée dans son idée progressiste, radicale. Friedheim cite le « Rebel Worker » disant que le mouvement des travailleurs/euses à Seattle était « tellement distinct que même les IWW le caractérisait comme un mouvement « affilié – plus dans la forme que dans l’esprit- avec l’American Federation of Labor (AFL)».

Dans l’opinion des conservateurs/rices et de la classe moyenne de Seattle, le radicalisme des syndicats de Seattle était devenu bien plus dangereux et fiévreux. Dans son article sur  la grève, Hampton pointa le « Union Record » comme un signe que le mouvement ouvrier devenait plus extrême. Il écrivit que le « Union Record » était passé « d’un hebdomadaire plus ou moins radical à un quotidien bien plus radical ». Il prétendit aussi que le « Union Record » poussait les travailleurs/euses à soutenir une grève générale bien que la plupart des syndicats ne le voulaient pas. Hampton, comme beaucoup d’autres citoyenNEs de  Seattle, croyait fermement que la grève générale était une tentative de révolution, conçue  par les IWW et autres « bolcheviques » dans l’espoir qu’elle se répandrait à d’autre villes et  États.

Alors que les IWW tombait plus profondément dans un mode défensif contre le  matraquage de l’opposition et la persécution, les individus des Wobblies, de même que l’organisation dans son ensemble, furent forcés de modifier leurs pratiques. Avant 1919 il était devenu commun pour les Wobblies à Seattle d’être membres d’autres syndicats, ce qui était dû au danger inhérent à répandre les idées des IWW, mais aussi aux difficultés de trouver un emploi sans rejoindre les syndicats de métiers affiliés à l’« AFL ». Comme  raconté par un ouvrier : «…J’appartiens aux IWW par principe et à l’AFL pour un job. » Ce  système de double adhésion était considéré « emmerdant » et l’existence d’une telle  pratique soulève d’autres mystères en posant la question de savoir combien exactement d’ouvrierEs et de leaders au sein des syndicats de l’AFL croyaient aux principes et aux idéaux mis en avant par les IWW. La réponse, encore une fois, est quelque part entre ce qu’un conservateur prétendrait (que les IWW contrôlaient les syndicats de l’AFL) et ce que les leaders de la grève diraient (que les Wobblies n’avaient pas de présence).

James A. Ducan, un leader ouvrier qui parla fréquemment de la grève dans les années qui  la suivirent, était secrétaire du Conseil Central Ouvrier de Seattle au moment de la grève et pendant longtemps un leader respecté de la scène ouvrière de Seattle. Duncan attesta plus tard dans une affaire au tribunal que la grève générale à Seattle n’était directement conduite par aucun radicaux/ale ou membres des IWW. Quand on lui demanda son opinion sur la cause de la grève, Duncan expliqua que les gens dans les milieux ouvriers de Seattle croyaient que les opposantEs aux ouvriers travaillaient avec le gouvernement pour détruire le mouvement, et que ce procédé commençait avec les ouvriers des  chantiers navals, dont le conflit avait évolué rapidement en grève générale. Duncan exprima aussi son sentiment selon lequel il doutait qu’il y ait eu plus de 3% du Conseil Central Ouvrier qui était au Parti Socialiste.

Bien que Duncan fut très ferme en atténuant l’influence des radicaux/ales dans la grève, il arrangea probablement la vérité jusqu’à un certain point. Les leaders au sein du Conseil  Central Ouvrier avaient raison de se distancier de groupes comme les IWW. S’allier ouvertement avec ces éléments embraserait sûrement les feux des conservateurs/rices qui étaient déjà effrayéEs par une possible révolution déclenchée par la grève générale. Il est intéressant de comparer le témoignage de Duncan dans cette affaire de justice à une citation lui étant attribuée dans le « Union Record » juste quelques jours avant la grève, dans laquelle il s’exclamait « ce n’est pas un problème de parler de révolution, mais certains d’entre nous ne sont pas des révolutionnaires. » Alors que cette citation indique que Duncan lui-même n’était pas un révolutionnaire, elle peut aussi amener à penser que d’autres personnes impliquées l’étaient, et qu’aborder les désirs des éléments plus radicaux des ouvrierEs de Seattle était un problème pour les leaders.

Le désir de tempérer l’implication des radicaux/ales et des IWW était évident aussi dans un pamphlet sorti par le Comité de Grève Générale après la fin de la grève. En plus de détailler les évènements qui avaient menés à la grève et qui s’y étaient produit, le pamphlet  abordait aussi les idées répandues selon lesquelles ce n’était rien d’autre qu’une grève de solidarité de l’AFL. Le Comité y clamait que la grève était portée par les syndicats de l’AFL, agissant d’après les décisions votées par la base. Ils nièrent aussi complètement que les IWW avait un rôle « contrairement au sentiment largement répandu dans le pays ». En  abordant les accusations selon lesquelles les leaders de la grève étaient révolutionnaires, le comité écrivit que « probablement quasiment aucun des soi-disant leaders accusés par la presse d’essayer de démarrer le bolchevisme en Amérique ne croyaient que la révolution était à portée de main. De telles croyances n’existaient que dans des cas isolés au sein de la base… ».

Le Comité de Grève prétendit que la rumeur du rôle de meneur des IWW venait  principalement de deux choses. Premièrement, le désir de la presse de discréditer les grévistes. Les journaux ne firent rien pour arrêter la panique de se répandre dans les jours avant, pendant, et après la grève. En fait, la presse aida à perpétuer la peur des gens. Un exemple est celui de l’article du « Seattle Star » qui appelait à l’américanisme des gens pour se dresser contre les espoirs révolutionnaires des bolcheviques qui étaient en train de  lancer la  grève. Deuxièmement, la publication et la distribution par des resquilleurs pendant la grève. Beaucoup de gens virent les Wobblies distribuer leur littérature et croyaient que c’était la propagande officielle de la grève. En effet, les IWW était visibles dans les rues pendant la grève, mais ce n’était certainement pas nouveau, et l’hypothèse que cela avait un sens plus fort que précédemment était infondée.

La plupart des preuves historiques connectées avec la communauté ouvrière à propos de  la grève nient que les IWW jouèrent un rôle clé. Un article avec Henry M. White, qui travailla comme médiateur pendant la grève, disait dans une lettre écrite au « Union Record » que dans ses négociations il n’avait identifié aucun des représentantEs avec lesquels il avait travaillé comme étant connecté avec les IWW. Il écrivit aussi « je ne crois certainement pas les syndicats de Seattle influencés par les IWW de façon plus substantielle que par les seules rumeurs visant à le justifier ».

Dans une interview avec Robert Friedheim, Ed Weston, un membre du syndicat des «  chaudronniers » à Seattle durant 1919, disait que la grève n’était pas sponsorisée par les IWW, que les  Wobblies n’avaient pas de positions importantes dans la direction de la grève, et que leur influence était « probablement nulle». Il disait aussi qu’Ole Hanson, le maire de Seattle, accusa à tort de nombreux/euses représentantEs ouvrierEs d’être des « rouges ».

En effet, Ole Hanson est un des contributeurs majeurs à l’idée que la grève générale était  une tentative révolutionnaire de renverser le gouvernement. À la suite de la fin de la grève, Hanson fit une tournée de la région racontant son histoire de la grève, selon laquelle il avait déjoué une révolution de radicaux/ales. Souffrant déjà d’un important retour de bâton et de la peur des rouges, la réputation des IWW fut encore endommagée par les élucubrations d’Hanson.

Un article parut dans une publication après la guerre louant Hanson et soutenant l’idée  qu’il avait supprimé une tentative de révolution. L’article prétendait que les services secrets avaient fourni à la police des informations de réunions des IWW selon lesquelles les IWW étaient derrière la grève. Savoir ça, prétendait l’article, permit au maire et à la police de stopper la grève rapidement et de prévenir une révolution. Hanson est cité dans l’article comme disant « Le bolchevisme à Seattle est mort. Plus aucune ville ne doit les  craindre si les méthodes que nous avons employées sont utilisées. » Hanson appela aussi à renvoyer les IWW des lieux de pouvoirs dans les syndicats ouvriers, à un plus grand contrôle sur l’immigration aux USA des « étrangers » qui apportaient des idées radicales ; et à passer plus de lois interdisant les IWW et les autres organisations radicales qui étaient anti-gouvernement.

Au lendemain de la grève, les membres des IWW virent s’intensifier la persécution contre  eux. Trente neufs Wobblies furent arrêtéEs en lien avec la grève car les autorités  essayaient de faire porter la responsabilité de ce qui s’était passé sur les éléments radicaux des cercles ouvriers de Seattle. Les quartiers généraux des IWW furent perquisitionnés. La fausse responsabilité donnée aux Wobblies rencontra une autre  démonstration de solidarité unique au sein du mouvement ouvrier de Seattle, et le Conseil Central Ouvrier vint à la défense des membres des IWW pour défendre « les droits fondamentaux impliqués dans ces cas qui sont nécessaires à notre propre existence». À une époque où les IWW et l’AFL étaient séparés par leurs différents idéologiques et par les approches opposées du syndicalisme de classe et du syndicalisme industriel, le  mouvement ouvrier de Seattle montra encore une fois sa solidarité.

Sur une note plus triste, les IWW firent face à l’un des chapitres les plus sombres de son histoire, plus tard en 1919, quand une parade du jour de l’armistice à Centralia dans l’État de Washington se transforma en un conflit sanglant entre des membres de la légion américaine et les Wobblies locaux qui essayaient de maintenir leur présence au sein de la communauté. Il y eu des morts des deux côtés, incluant un lynchage particulièrement brutal et dur de l’un des Wobblies. Les IWW avait passé l’apogée de leur influence, et étaient maintenant dans une spirale descendante en face de tant d’opposition. Les leaders des IWW avaient espéré que la grève ferait office de démonstration du pouvoir inhérent à la solidarité ouvrière, et déclencherait une acceptation plus grande des idéaux des IWW au dépend de ceux de l’AFL. Au lieu de ça, le mouvement ouvrier se dirigea vers une autre direction qui se tenait idéologiquement entre les deux segments.

Alors que Hanson, les citoyenNEs conservateurs/rices, et de nombreuses publications de presse, maintinrent et diffusèrent leur croyance que la grève générale de Seattle avait été une tentative de révolution, les IWW en tant qu’organisation ne revendiquèrent aucune participation directe ni aucun leadership. « New Solidarity », un journal national des IWW venant de Chicago, déclara que les IWW en  tant qu’organisation ou en tant qu’individus n’étaient pas derrière la grève. Le papier soutenait cependant la grève, et exprima son admiration pour celles et ceux qui y avaient participé. Le 22 février, le journal publia une « Ode à Seattle », qui faisait les louanges de Seattle pour avoir montré ce que les ouvrierEs pouvaient faire en agissant solidairement.

« New Solidarity » expliqua les origines de la grève par la grève des ouvriers des chantiers navals et lista certaines des leçons apprises des faiblesses et des forces qu’ils virent. Les IWW avait toujours soutenu l’idée d’une grève générale parce que c’était le meilleur moyen de provoquer la paralysie d’une industrie. À Seattle, les syndicats de métiers de l’AFL avaient finalement franchi les lignes et étaient venu en tant que classe ouvrière. Dans l’espoir, pour les IWW, que les évènements de Seattle seraient répétés plus tard à une  échelle plus grande.

En analysant les causes de la grève générale, les IWW pointèrent la persécution de leurs  membres à Seattle, qui avait conduit à une situation où de nombreux/euses travailleurs/euses étaient membres à la fois des IWW et d’un autre syndicat de métier pour leur travail. Un autre facteur retenu par les Wobblies était la révolution sociale qui avait eu lieu en Russie et qui avait influencé beaucoup de gens en Amérique.

Les IWW sont un sujet fascinant à étudier, à la fois en tant qu’organisation et dans des cas comme la grève générale de Seattle, comme individus. Pour évaluer le rôle de  l’organisation dans la grève, le plus important sont les individus spécifiques qui pourraient avoir été des Wobblies ou avoir accepté leurs idées. Seattle était unique pour la nature radicale de ses syndicats ouvriers, et les IWW était au milieu de la scène. Mais dans la grève générale, les IWW restèrent largement en arrière-plan, observant et espérant que  cela mènerait à quelque chose d’autre pour auquel ils/elles avaient dédié leur vie à se battre. La grève arriva aussi juste quand les IWW était en train de sérieusement décliner, principalement du fait des persécutions par les mêmes gens qui les accusaient d’être derrière la grève.

 

Colin M. Anderson.
Tiré de « The Seattle General Strike Project ». Traduction de «The Industrial Workers of the World in the Seattle General Strike» par le CATS.