Un Young Lord se souvient…

Young_Lords_1Dans les années 1960 et 70, des jeunes latinos de New York s’auto-organisèrent au sein du Parti des Young Lords (littéralement les « Jeunes Seigneurs). Comme les Panthères Noires, cette organisation pratiqua l’action directe, rejeta le pacifisme et eut un caractère explicitement anti-capitaliste [sans compter son enracinement populaire… cela la rend intéressante malgré son verbiage marxiste- léniniste-maoiste et nationaliste – NdT]. Richie Perez (1944-2004) relate ses expériences et donne un aperçu de l’histoire du groupe.
Première partie

« Nous ne sommes pas tombéEs du ciel : les luttes de notre peuple ont créé les Young lords ».

Avons nous échoué ? Avons nous réussi ? Comment nous évaluer ? Comment pouvons nous juger/évaluer les générations (ou les secteurs progressistes dans chaque génération) ? Et comment nous évaluons nous NOUS-MÊMES ?

Est-ce qu’ils/elles ont avancé le point de départ pour la génération suivante ? Est-ce qu’ils/elles ont relié la génération suivante à la lutte pour la liberté – que CHAQUE génération doit mener ? Ont-ils/elles créé des structures organisationnelles pour faire cela ?

Ont-ils/elles construit la capacité combattante de notre communauté en contribuant à la préservation et au renforcement de l’existant ou au développement de nouveaux/elles leaders populaires ? Ont-ils/elles élevé le niveau idéologique et politique de la communauté ?

Ont-ils/elles simultanément préservé notre culture tout en la faisant progresser (c’est à dire le Hip-Hop comme continuation de la tradition orale, de la centralité de la danse…) ? Ont-ils/elles porté une attention particulière au développement politique des femmes et des jeunes (et en conséquence défié la domination masculine/patriarcale dans notre mouvement) ?

Ont-ils/elles combattu le racisme dans notre propre communauté ? Ont-ils/elles construits des liens (mêmes fragiles) avec d’autres communautés de couleurs – pour que nous n’ayons pas à partir de zéro ? Ont-ils/elles combattu l’accommodement (la cooptation), ou se sont-ils/elles accommodéEs ? Ont-ils/elles abandonné le pire, les plus oppriméEs et marginaliséEs (c’est à dire les prisonnierEs, les gens avec le SIDA, les victimes du fléau de la drogue, les victimes de la violence domestique.), ou ont-ils/elles parlé et agi sur la base du principe que « nous devons nous lever tous ensemble » ?

Ont-ils/elles maintenu une perspective générale anti-capitaliste, ou est ce qu’ils/elles ont versé dans le « capitalisme latino », dans L’IMPORTANCE DE LA « représentation latino dans le monde des affaires américain », dans le « Ça ne sert à rien de le combattre », dans le « Je dois en profiter », ou dans toute autre des nombreuses variations qui reflète l’éthique capitaliste (« Je » au dessus de « Nous ») ? Ont- ils/elles fait de leur pratique un exemple (comment ont-ils/elles vécu leurs vies ?) (conduite observable, mesurable) à propos de ce qui compte vraiment dans la vie, à propos de ce pourquoi il faut vivre et mourir ? Qu’est-ce que cela signifie de s’engager toute sa vie pour la survie et l’avancée de ton peuple, dans ce contexte – qu’est-ce que cela signifie d’être un « homme » ou une « femme » ?

1969. Presque 5 années ont passé depuis la Loi sur les Droits Civils de 1964 qui mettait un terme à la ségrégation légale et rendait illégales de nombreuses formes de discrimination basées sur la race ou l’origine ethnique d’une personne, sur le pays dont elle venait et sur la langue qu’elle parlait. La situation du peuple portoricain cependant ne s’était pas améliorée qualitativement malgré les nouvelles lois dans les livres qui interdisaient la discrimination.

Les portoricainEs jouèrent un rôle actif dans le mouvement social qui secoua l’Amérique jusqu’à ses fondations et qui aboutit à la Loi sur les Droits Civils de 1964 et autres avancées. Les jeunes portoricainEs qui arrivaient à l’âge de maturité dans les années 1960 ne savaient cependant pas cela – notre histoire nous avait été volée. Cela n’était pas enseigné dans les écoles et les seuls livres qui traitaient honnêtement de notre histoire et de notre réalité étaient en espagnol universitaire – et étaient donc inaccessibles pour la majorité d’entre nous, qui n’étions pas diplôméEs du lycée et à qui on avait également volé notre langue.

Le Parti des Young Lords fut créé au début par des jeunes portoricainEs qui étaient néEs aux USA ou qui y avait passé la plus grande partie de leurs vies. Notre premier cadre de référence était notre expérience populaire dans les ghettos urbains de l’Amérique. Comme tous les jeunes gens de cette époque, nous étions profondément affectéEs par le Mouvement de Libération Noir, la lutte pour en finir avec la guerre du Vietnam et par la « révolution culturelle » dans les valeurs et le mode de vie qui se produisit dans les années 1960. Nous faisions l’expérience de ces mouvements mais, cependant, en tant que peuple opprimé qui luttait pour se relier à notre propre histoire, pour déterminer nos propres priorités et tracer notre propre route vers le futur.

Qui étions-nous ? Nous étions les fils et les filles des pionnierEs portoricainEs. Si nous étions étudiantEs, nous étions les premierEs de notre famille. La plupart y étaient entrés à travers les programmes d’admissions spéciales pour lesquelles nos communautés luttèrent et eurent gain de cause au milieu et à la fin des années 60. Nous étions des létudiantEs, des jeunes de la communauté, la plupart sans emploi, qui étaient sortiEs de l’expérience des gangs des années 50 et 60, des gens qui avait purgé leur peine, des vétérans du Vietnam, d’anciens et actuelLEs droguéEs, des gens qui avaient été politiséEs (et désillusionnés par le « système ») tandis qu’ils/elles travaillaient dans les programmes anti-pauvreté créés pour détourner et coopter la colère de la communauté durant le milieu et la fin des années 60. Quelques unEs d’entre nous avaient travaillé dans les usines de l’Amérique, comme travailleurs/euses de l’automobile à Tarrytown, et bien plus comme ouvrieres d’usine dans la ville.

Bien que beaucoup d’entre nous ne puissent le reconnaître à cette époque, nos aînéEs continuaient à nous diriger et, au milieu des années 60, ils/elles pavèrent une nouvelle fois la route pour nous. Ils/elles créèrent une base organisationnelle de groupes populaires et nous relièrent au mouvement militant qui ébranlait l’Amérique – afin que nous, leurs enfants, puissions continuer les luttes qu’ils/elles avaient entamé.

1961 : fondation de l’ASPIRA

Le Parti des Young Lords était un produit de l’expérience portoricaine en Amérique et des mouvements des années 60. C’était une réponse organisationnelle des portoricainEs de la seconde génération qui s’étaient consciemment alignéEs avec la tradition radicale dans l’histoire portoricaine, une alternative organisationnelle pour les portoricainEs qui rejetaient l’assimilation et le réformisme. Nous développions un code de conduite dont nous nous tenions responsables les unEs les autres. Le programme en 13 points qui nous unifiait et nous guidait était notre réponse à des événements et problèmes réels auxquels notre peuple était confronté.

Au cours de notre existence, les Young Lords apprirent beaucoup sur l’histoire de notre peuple et contribuèrent à cette histoire, avançant le point de départ pour des luttes futures. Laissez moi partager une partie de cette histoire avec vous. Nous ne descendions pas du ciel – nous étions néEs de la réalité de notre peuple.

Cette description de la vie dans la communauté portoricainE de New York fut écrite en 1964 par les activistes portoricainEs qui créèrent les premiers programmes anti-pauvreté basés sur la communauté portoricaine.

« Le/la portoricainE de New York est aujourd’hui pris dans un piège à pauvreté. Son bas statut d’emploi dicte de bas revenus familiaux, ses bas revenus condamnent ses enfants à des opportunités et réussites éducatives limitées, qui à leur tour les condamnent à un bas statut d’emploi avec une faible paye, et ainsi de suite ». (« Le Projet de Développement de la Communauté Portoricaine » : Une proposition pour un projet de développement de la communauté, par elle-même, par le renforcement de la famille, l’ouverture d’opportunités pour la jeunesse et l’usage plein et entier de l’éducation).

En 1960, le chômage pour les portoricainEs était de 10%, de 7% pour les noirEs et de 4% pour les blancHEs. Seuls 13% des portoricainEs de 25 ans et plus avait terminé le lycée pour 40% dans la population blanche (Je fus diplômé du Lycée Morris dans le Bronx en 1961. Le premier de ma famille à aller à l’université. J’allais à Hunter-Uptown, aujourd’hui appelé Université Lehman. Je vivais à travers ces statistiques). En 1963, 21 000 diplômes universitaires furent accordés aux diplôméEs des lycées. Seulement 331 allèrent à des portoricainEs (1,6%), 762 allèrent à des Afro-AméricainEs (3.7%). Toutefois, quand on en arrivait aux filières professionnelles, nous faisions « mieux » – les portoricainEs recevaient 7,4% des diplômes et les Afro-AméricainEs 15,2%. Evidemment il ressort de tout cela que très peu de portoricainEs allaient jusqu’à l’université – et qu’encore moins obtenaient le diplôme.

Ajoutez à cela : un grand nombre d’élèves portoricainEs en dessous du niveau de lecture scolaire (et condamnéEs pour cela, entasséEs dans des classes qui ne menaient nulle part, à part peut être dans les forces armées ou en prison), le manque flagrant de tout programme bilingue, et l’idée dominante que les portoricainEs, comme les Afro-AméricainEs, étaient « stupides ». Les portoricainEs devaient se confronter aux institutions éducatives – et nous le fîmes. Les luttes pour l’éducation se produisirent dans nos communautés tout au long des années 60 et elles eurent lieu sur fond de militantisme croissant parmi le peuple opprimé dans toute la nation (Je fus diplômé du lycée Morris dans le Bronx en 1961 et j’enseignais au lycée James Monroe dans le Bronx entre 1965 et 1970. J’eus la chance d’avoir été capable d’apprendre de ces luttes et de participer à certaines d’entre elles, comme le firent beaucoup de celles et ceux qui rejoignirent plus tard les Young Lords).

1964, par exemple, fut marqué à la fois par la première d’une longue série de rébellions urbaines (qui devinrent connues sous le nom de « longs étés chauds ») qui éclata d’abord à Harlem quand un policier blanc tira et tua lycéen noir désarmé, et par l’adoption de la Loi sur les Droits Civils accompagnée d’une très médiatisée déclaration nationale de « guerre à la pauvreté ».

En même temps, la même année, 1964, dans le Sud, « l’été de la Liberté » se termina avec plus de 1000 manifestantEs pour les droits civils arrêtées, 37 églises noires détruites à la bombe ou endommagées et par 15 personnes tuées par des racistes (y compris les militants pour les droits civils James Chaney, Andrew Goodman, et Michael Schwerner) [Un jeune noir et 2 jeunes blancs, dont un était « juif » : ils furent arrêtés par la police du comté de Nashoba, près de Philadelphie, gardés quelques heures, le temps que le Klu-Klux Klan local puisse être prévenu par la police et qu’il puisse se rassembler, ils furent libérés à la nuit tombée et directement enlevés par le Klan qui les exécuta – NdT]

Cette même année, Malcom X fondait l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine, appelant à la « liberté par tous les moyens nécessaires » et pressant les Afro-AméricainEs de s’unir et lutter pour le contrôle des institutions qui affectaient la communauté, y compris les écoles, la police et le gouvernement local (Malcom X, discours au meeting de fondation de l’OAAU, Organization of Afro-American Unity, 28 juin 1964).

New York cette année là fut la scène d’une série de boycotts publics d’écoles et de protestations contre l’éducation ségréguée et inférieure. Ces actions furent historiques, à la fois par leur caractère de masse, leur impact et leurs implications. Les portoricainEs jouèrent un rôle important dans ces évènements.

Coordonné par le Comité Local pour les écoles intégrées [non ségréguées racialement – NdT] et par le révérend Milton Galamison, le premier boycott en février 1964 aboutit à un taux d’absentéisme de 45% dans les écoles publiques. 460 000 élèves, sur un total d’1 037 757, restèrent en dehors des écoles. Au lycée Benjamin Franklin d’Harlem Est seulement 350 élèves se montrèrent à l’école – sur un total de 2 300. 75% des élèves à Bedford-Stuyvesant boycottaient. D’importantes absences furent aussi rapportées dans le lower East Side, le West Side et le South Bronx. Des « écoles de la liberté », des classes improvisées dans les églises et les centres communautaires, attirèrent des milliers d’élèves. Il y avait des piquets devant 300 des 860 écoles de la ville, et 3 500 personnes manifestèrent au Bureau de l’Éducation à Brooklyn. Les médias voyaient les boycotts d’écoles comme la « naissance du mouvement des droits civils à New York », soulignant les liens entre ce mouvement et le mouvement de grève des loyers qui avait commencé quelques années plus tôt, spéculant sur l’étroite coopération et coordination parmi les boycotteurs/euses noirEs et portoricainEs qui représentait l’établissement d’un « lien apparemment permanent » entre les deux communautés.

Un mois plus tard, en mars 1964, les portoricainEs qui étaient actifs/ves dans les boycotts organisèrent une protestation pour demander « de meilleurs moyens éducatifs, plus efficaces et intégrés pour les enfants portoricainEs », plus d’enseignants portoricainEs, et unE portoricainE au sein du. 1 800 personnes marchèrent du pont de Brooklyn jusqu’au Bureau de l’Éducation dans ce que le New York Times appela « la première manifestation locale pour les droits civils organisée par la communauté portoricaine ». Celles et ceux qui donnaient une direction à notre communauté à cette période incluaient Gilberto Gerena Valentin de l’Association Nationale pour les Droits Civils des PortoricainEs (National Association for Puerto Rican Civil Rights, NAPRCR) et Evelina Antonnetty des Parents UniEs du Bronx (Evelina Antonnetty forma certainEs des activistes qui fondèrent plus tard la NAPRCR. Gerena Valentin fit partie du groupe d’organisation qui travailla durant deux ans pour fonder la NAPRCR).

En réaction au défi de la lutte des noirEs et des portoricainEs, une violente réaction blanche émergea, dirigée par des organisations comme Parents et Contribuables. Ce groupe organisa un boycott pour s’opposer à l’intégration des écoles, obtenant un taux d’absentéisme de 27%. Plus tard, beaucoup des forces impliquées avec Parents et Contribuables s’opposera à notre défi concernant la discrimination dans le logement (et la ségrégation résidentielle qu’elle amenait et protégeait) et l’établissement d’une commission de contrôle civil indépendante [Je ne sais pas si cette commission concerne l’attribution des logements ou s’il s’agit du projet de commission de contrôle civil de la police, voir plus bas – NdT].

Deuxième Partie

En 1965, tandis que des rébellions urbaines éclataient à Watts et Chicago, tandis que les téléspectateurs/rices voyaient les marcheurs/euses pour les droits civils attaquéEs à Selma, dans l’Alabama, John Lindsay fut élu maire de New York. John Lindsay, agissant dans le cadre d’un engagement de campagne promettant d’aborder la ségrégation du logement, proposa un programme de construction de logements pour bas revenus dans des parties principalement blanches de la ville – ce qui devint connu comme la controverse de la « dispersion des sites d’habitation ». L’opposition blanche à accepter les gens qui allaient occuper les « logements pour bas revenus » – des noirEs et des portoricainEs pauvres – et vivre dans leurs communautés grandissait. Des italienNes à Corona, des Juifs/ves à Forest Hills et Riverdale, des résidentEs blancHEs à Lindenwood et Howard Beach dans le Queens étaient parmi les mieux organiséEs des voisinages ségrégationnistes. Harrison Goldin, alors sénateur d’Etat, était l’un des officiels élus qui soutenait le mouvement d’opposition à la dispersion des sites d’habitation. Finalement le programme de dispersion des sites d’habitation fut bloqué.

1965 – Le garçon sur la Terre Promise. Baldwin aussi.

Manchild in thepromised land » est une allusion au titre d’un livre de Claude Brown publié en 65 alors que le mouvement pour les droits civils battait son plein, il décrivait la jeunesse d’un noir à Harlem, ce livre eut beaucoup de succès. Baldwin est le nom d’un écrivain noir américain, socialement critique, qui participait aux luttes pour les droits civils – NdT]

L’intensification de la polarisation raciale à New York fut exposée en 1966 lorsqu’un référendum pour une commission de contrôle civil des services de police fut mise au voix. Les camps sur cette question se traçaient d’abord le long de lignes raciales, avec la majorité des Afro-AméricainEs, des portoricainEs et les libéraux blancs [le terme « liberal » aux USA désigne des progressistes, des partisans du libéralisme au sens politique du terme – NdT] soutenaient la création de cette commission – tandis que l’écrasante majorité des blancHEs de New York s’y opposait. L’Association de Bienfaisance des Policiers (Policemen’s Benevolent Association, PBA), le Parti Conservateur et des groupes locaux qui avaient émergé pour lutter contre la dispersion des lieux d’habitation formèrent le noyau des forces anti­commission de contrôle civile. Le PBA mena une campagne de peur raciste et sortit une affiche qui représentait une femme blanche sortant seule d’une sombre station de métro. La légende disait : « La commission de contrôle civile doit être stoppée ! Votre vie peut en dépendre ». La proposition de commission de contrôle civil fut rejetée lors du scrutin.

1966 – Rébellion dans la communauté portoricaine de Chicago.

Une intense infiltration, surveillance et perturbation fait partie de la réponse du gouvernement. Cela est documenté dans : Puerto Rican Chicago (Padilla, 1987); Protectors of Privilege: Red Squads & Police Repression in Urban America (Donner, 1990). Donner documente aussi l’infiltration des Young Lords de New York en 1969.)

En 1967, des « désordres raciaux » ébranlèrent plus de 160 villes américaines. Plus de 30000 hommes de troupe de la Garde Nationale furent déployés dans 18 villes. En juillet, 11 personnes moururent à Newark. À Detroit, 43 personnes furent tuées, 1000 blessées et 7000 arrêtées. Cet été là, les portoricainEs se battirent dans les rues d’El Barrio [un quartier portoricain de New York, littéralement « Le Quartier » – NdT] après un assassinat policier. Durant la rébellion, 2 résidents supplémentaires furent abattus par les balles policières. À New Haven, les portoricains déclenchèrent une émeute après qu’un propriétaire de restaurant blanc ait tué un portoricain.

Les portoricainEs et les « longs été chauds »

Entre 1965 et 1971, des émeutes éclatèrent dans les communautés portoricainEs suivantes, indiquant la colère grandissante au sein de notre peuple : 1965 : Chicago ; 1966 : Chicago, Perth Amboy ; 1967: El Barrio, New Haven ; 1969 : Passaic, Hartford ; 1970 : El Barrio, South Bronx, Hartford ; 1971 : Camden, Hoboken, Long Branch-NJ. Des recherches sont nécessaires sur chacune d’entre elles.

1967 – En bas de ces mauvaises rues

En 1968, les développements nationaux et locaux ont résulté à la fois d’une polarisation raciale accrue dans le pays et d’une conscience et d’un militantisme grandissant parmi les gens de couleurs. Pour de nombreux/euses activistes, les assassinats de Malcom X (1965), de Martin Luther King Jr. (1968) et de Robert Kennedy (1968) étaient seulement les évènements les plus courants qui confirmaient et soulignaient le message de Rap Brown comme quoi « la violence est américaine comme la tarte au cerise ». La conviction répandue parmi les activistes de l’existence d’infiltrations gouvernementales, de montages et de subversion d’organisations pour les droits civils reposait sur le programme national de destruction, hautement visible, que le FBI lançait contre le Parti des Panthères Noires et les activistes révolutionnaires AmérindienNEs et chican@s.

Gardez à l’esprit que tout ceci se produisait au milieu d’un mouvement croissant contre la guerre du Vietnam et de rapports quotidiens à propos d’attaques policières brutales, de tabassages, de gazages et de tirs dans tout le pays contre les manifestantEs anti-guerre et pour les droits civils (L’impact de l’attentat à la bombe contre l’église dans le Sud que Spike Lee a récemment repris : j’ai vécu ces moments et cela a profondément influencé ma pensée politique).

C’est dans ce contexte que les luttes historiques pour le contrôle communautaire des écoles et l’accès aux universités arrivèrent à maturité. Répondant au militantisme croissant dans les communautés de couleur, un plan pour « décentraliser » le système scolaire de New York fut ébauché par l’administration de Lindsay, il prônait l’établissement de bureaux scolaires ayant des pouvoirs limités dans les communautés locales. Ce n’était pas le « contrôle communautaire » pour lequel nos communautés avaient lutté, et le pouvoir ultime restait dans les mains du Bureau Central d’Éducation et dans celles des syndicats d’enseignantEs et de directeurs/rices d’écoles. Malgré cela la Fédération Unie des EnseignantEs (United Federation of Teachers, UFT), menée par Albert Shanker, s’opposa farouchement à toute « interférence civile » dans la gestion des écoles. L’UFT appela à une grève qui dura 90 jours. Durant ce temps, la ville fut encore plus polarisée avec des accusations d’« antisémitisme », lancées contre les défenseurs noirEs et portoricainEs du contrôle communautaire, et de « racisme blanc » lancées contre le syndicat des enseignantEs. Les centres de l’activisme pour le contrôle communautaire étaient situés à Ocean Hill- Brownsville, Harlem, El Barrio, dans le Lower East Side et le South Bronx. Les Parents UniEs du Bronx (menées par Evelina Antonetty, Dona Rosa Escobar et d’autres dont les rôles devraient être documentés) joua un rôle pivot dans l’organisation des parents et des élèves.

En 1968, les luttes sur les campus de la nation s’étaient également intensifiées, avec des étudiantEs de couleur demandant des filières et des départements autonomes, plus de facultés du Tiers-Monde [nom donné à des facs centrées sur l’étude de l’histoire et des cultures des groupes raciaux marginalisés aux USA – NdT] et des changements dans les critères d’admission (C’est un bon exemple de comment chaque lutte avance le point de départ pour des luttes futures). Ces luttes étaient organisées par les centaines d’étudiantEs des minorités qui étaient entréEs dans les universités par le biais de programmes limités d’admissions spéciales dans les années 60 (c’est à dire le programme SEEK pour l’université de New York). Se trouvant dans des institutions qui étaient hostiles à leur langue, culture et histoire, ils/elles maintinrent leurs liens avec leurs communautés et devinrent la colonne vertébrale du mouvement pour l’Admission Ouverte.

La première lutte majeure pour l’Admission Ouverte et les études ethniques se produisit à l’Université d’État de San Francisco. Dirigée par le Syndicat des ÉtudiantEs NoirEs du campus, une grève ferma le campus. Ronald Reagan, qui était alors gouverneur de Californie, ignora les problèmes d’éducation soulevés par les étudiantEs et les dénigra comme étant « des militantEs déterminéEs à substituer la violence et la coercition aux procédures de doléances ordonnées disponibles pour tous et toutes ». Une nomination musclée, celle de S.I. Hayakawa, eut lieu au poste de président de l’université afin de superviser la « restauration de l’ordre ». Avec le soutien très public du gouverneur Reagan, il supervisa l’occupation policière du campus et la violente répression des manifestantEs. Hayakawa défendit l’occupation policière du campus, interdit les rassemblements et condamna les leaders communautaires noirEs et chican@s qui soutenaient la grève. Il déclara que l’Admission Ouverte signifiait donner la préférence aux étudiantEs « non qualifiéEs » des minorités par rapport à des candidatEs plus qualifiéEs. Hayakawa réémergea plus tard sur la scène nationale comme l’un des fondateurs et représentants du mouvement Seulement l’Anglais [qui défendit dans les années 80 l’anglais comme unique langue officielle des USA – NdT]

Vers la fin du deuxième semestre de 1969 à l’université d’Etat de San Francisco : 731 étudiantEs, sympathisantEs universitaires et communautaires avaient été arrêtéEs, 80 étudiantEs et 32 policiers avaient été blesséEs et il y avait des tas d’incendies et 2 explosions de bombes contre les bâtiments du campus. Finalement l’administration de l’université accepta de renoncer aux critères d’admission pour 10% des nouveaux/elles candidatEs et de recruter immédiatement 1000 étudiantEs du Tiers-Monde [c’est-à-dire des minorités de couleurs aux USA – NdT]. Cela augmenta le nombre d’étudiantEs de couleur à 4750 (sur un total de 17 700 soit environ 26%). Une victoire durement acquise et partielle.

Tandis que la lutte à l’université d’État de San Francisco se calmait, le combat pour l’Admission Ouverte à New York s’engageait. En 1968, 54% du total des élèves des écoles publiques de New York étaient noirEs ou portoricainEs. 55% de ces élèves quittaient le lycée avant le diplôme et seulement 13% obtenaient un diplôme universitaire.

À l”époque, une moyenne de 80 points au lycée était requise pour l’admission dans l’une des facs de l’université de la ville de New York. Tandis que 45% des étudiantEs blancHEs obtenaient le diplôme avec plus de 80 points, il n’y avait que 15% des noirEs et des portoricainEs à faire de même. En 1969, avant les Admissions Ouvertes, les nouveaux/nouvelles qui entraient pour la première fois dans une des facs de la ville de New York étaient à 13,8% noirEs, à 5,9% portoricains et à 80,3% blancHEs. Les groupes noirs et portoricains sur les campus, aux côtés des sympathisantEs des communautés, accusèrent les officielLEs universitaires de maintenir des institutions ségréguées et racialement excluantes.

Un défi à l’exclusion raciale institutionnelle dans les facs de New York

À la fac d’Harlem, où les étudiantEs noirEs et portoricainEs représentaient seulement 3% du corps étudiant total, les groupes du campus s’unirent pour demander : 1) Un département séparé pour les études noires et portoricaines, 2) Un programme séparé d’orientation pour les nouveaux/elles entrantEs noirEs et portoricainEs, 3) Une voix pour les étudiantEs du programme SEEK dans la gestion de ce même programme, incluant le recrutement et le licenciement de personnels, 4) une exigence que toutes les personnes se spécialisant en Éducation suivent des cours d’histoire noire et portoricaine et des cours d’espagnol, 5) une politique d’admission qui garantirait que la composition raciale de toutes les classes entrantes reflète le pourcentage de noirEs et de portoricainEs dans les lycées de la ville de New York. Les revendications étaient signées par la « Communauté des étudiantEs noirEs et portoricainEs ».

Après que leurs demandes aient été ignorées, 200 étudiantEs noirEs et portoricainEs s’enfermèrent derrière les portes de la fac du campus Sud, coupant l’accès à 8 des 22 bâtiments de la fac. Ils/elles rebaptisèrent le campus occupé « Université d’Harlem ». Des étudiantEs radicaux/ales blancHEs s’emparèrent de 2 autres bâtiments en soutien aux revendications mises en avant par les manifestantEs noirEs et portoricainEs.

Parmi les groupes s’opposant à l’occupation de la fac, il y avait la Ligue de Défense Juive. Ils/elles déposèrent une demande pour obtenir une injonction judiciaire mettant fin à l’occupation du campus Sud, et c’est à ce moment que la LDJ élabora le terme de « racisme à l’envers ».

Durant la lutte, des confrontations violentes éclatèrent quand des étudiantEs blancHEs cherchèrent à casser la grève. Des habitantEs de Harlem soutenaient les étudiantEs avec de la nourriture et des couvertures et rejoignirent le combat.

Les étudiantEs portoricainEs sur les autres campus prirent aussi part à l’action en soutien aux demandes adressées à l’université de New York. À la fac de Brooklyn, par exemple, les étudiantEs investirent le bureau du président, se battirent contre les réactionnaires blancHEs (y compris la LDJ qui s’était formée sur le campus de la fac de Brooklyn) et furent attaquéEs par la police. 17 activistes de la fac de Brooklyn furent arrêtéEs à leurs domiciles – durant la nuit – pour avoir mené la lutte pour les Admissions Ouvertes. C’est une part importante de notre histoire – elle devrait être documentée.

Et laissez moi vous dire, c’était comme intégrer une fac auparavant ségréguée. Et nous n’étions pas comme les étudiantEs dans le Sud sur un point important – NOUS N’ÉTIONS PAS PACIFISTES, NOUS N’ÉTIONS PAS ENGAGÉ(E)S DANS UNE ÉTHIQUE NON-VIOLENTE, un code de conduite non-­violent. Alors quand on a intégré les campus, tandis que nos premières tactiques étaient non-violentes, nous eûmes aussi à botter quelques culs, à cogner des salopards, à jeter des racistes dans les escaliers. Nous menions des actions non-violentes – mais c’était une question TACTIQUE, pas une question de principe. Il était important que nos adversaires le sachent.

En 1970, l’Université de la ville de New York adopta une politique qui garantissait l’admission de tous/tes les diplôméEs d’un lycée de la ville. Comme résultat de l’Admission Ouverte, le nombre de nouveaux/elles entrantEs noirEs et portoricainEs dans les facs de l’Université de New York fit plus que doubler au cours de la première année. 50% des étudiantEs noirEs et 66% des étudiantEs portoricainEs n’auraient pas pu être admis dans les facs de l’Université de New York sans l’Admission Ouverte et le remplacement des critères d’admission traditionnels (Open Admissions and Equal Access : A Study of Ethnic Groups in the City University of New York. Harvard Education Review, 1979). Une autre victoire durement acquise – mais encore partielle.

Ce sont juste quelques unes des luttes qui ont politisé les jeunes portoricainEs dans les années 60, et qui ont contribué au développement de la conscience, de l’organisation et du leadership dans notre communauté. Le Parti des Young Lords devint le lieu d’organisation des activistes qui prirent part à ces luttes et de beaucoup d’autres qui recherchaient une organisation qui les rendrait capables de rejoindre la lutte.

Troisième Partie

Un récit d’organisation des Young Lords dans les lycées

Je veux partager avec vous une histoire à propos de l’une de mes premières expériences d’organisation comme Young Lord. Du fait de mon parcours je devins finalement un organisateur pour la jeunesse et les étudiantEs. Ma première tâche d’organisation importante se déroula parmi les lycéenNEs du Bronx où je travaillais de manière très étroite avec le cadre des Black Panthers assigné à la même tâche. Au lycée Morris, par exemple, nous soutenions la formation et le développement d’un groupe d’élèves appelé WANTU-GENTE (WANTU signifie « gens » en Swahili ; GENTE signifie la même chose en espagnol). C’était un groupe d’élèves noirEs et portoricainEs qui prenait consciemment modèle sur les Young Lords et les Black Panthers, combinant les 13 points du programme du Parti des Young Lords et le programme en 10 points du Parti des Black Panthers, ainsi que leurs propres revendications par rapport à l’école – liberté de s’assembler, liberté de parole et liberté de la presse – qui étaient exprimées dans le cadres de discussions de groupe avec des étudiantEs, dans des assemblées et des bulletins qui n’étaient pas soumis à l’approbation préalable de l’administration.

Nous coordonnâmes plusieurs marches d’étudiantEs et d’élèves, très militante et hautement organisées, et une énorme manifestation lycéenne contre la guerre. Cette manif rassembla plus de 1 000 lycéenNEs portoricainEs et noirEs venant de 5 écoles. Elle fut infiltrée par des agents en civils et finalement attquée par la police alors que nous nous préparions à installer un piquet devant le bureau du Service Sélectif du Bronx [un bureau de recensement militaire NdT]. En réponse à ce qui était vu comme un développement dangereux, le Wall Street Journal (!) écrivit un article en première page qui désignait nos efforts comme une menace nationale contre la stabilité éducative. Cet article était titré : « Le pouvoir des élèves. Perturbations et troubles dans certains lycées alors que les jeunes demandent des droits. Ils/elles demandent aux officielLEs de partager l’autorité, les Black Panthers entrent dans le conflit à New York. Qu’arrive-t’il à l’éducation ? » (Wall Street Journal, 6 novembre 1970, p. 1).

« Le conflit au lycée Morris n’est pas juste un nouveau conflit racial. La question au lycée Morris ce sont les revendications pour de nouveaux « droits politiques » – des revendications qui impliqueraient des changements fondamentaux dans la structure de base de l’autorité à l’école. Les élèves recherchent une liberté totale dans la distribution de tous types de littératures politiques à l’école, dans l’invitation de représentantEs de tous les courants pour prendre la parole dans les assemblées d’écoles et dans l’usage du système de prise de parole dans les écoles publiques pour des objectifs politiques. Les élèves disent que le/la directeur/rice ne devrait avoir de droit de veto sur aucune de ces activités. L’inquiétude des administrateurs/rices d’écoles vis à vis du mécontentement croissant est aggravée par la nature du soutien que les élèves obtiennent. Les Black Panthers sont en train d’enseigner avec enthousiasme aux élèves les mêmes tactiques, la même rhétorique et discipline sans compromis que la gauche radicale a insufflé à d’autres causes dans ce pays ces dernières années. Les officielLEs scolaires et d’autres personnes dans la zone disent que les Black Panthers et les Young Lords ont habilement construit le mécontentement des élèves vis à vis de l’école. « Les jeunes parlent d’eux/elles (les Black Panthers et les Young Lords) tout le temps » déclare Tony Alers, un portoricain de 15 ans classe de neuvième ».

Décrivant les activités de WANTU-GENTE comme celles d’un groupe « dont les membres ont des liens étroits avec les Black Panthers et les Young Lords », l’article continuait : « À un moment prédéterminé ce mercredi matin, les membres de Wantu-Gente ont parcouru les halls appelant les élèves à quitter les classes. La plupart le firent et se rassemblèrent dehors dans la rue. Plusieurs Young Lords et deux militants de l’organisation des locataires de la zone, tous les 2 avec des talkie-walkies, paraissaient inciter les élèves. Des échauffourées se développèrent entre les policiers et les étudiantEs et certainEs furent blesséEs dans les 2 groupes. CertainEs élèves jetèrent des bouteilles sur les policiers depuis les étages supérieurs de l’école. Les policiers ont arrêté plusieurs manifestantEs et l’école a été fermée pour la journée… Les élèves militantEs ont tenté de continuer le boycott le jeudi et vendredi suivant, mais quelques centaines d’élèves seulement quittèrent l’école ces jours là ».

Quelques centaines d’élèves seulement, c’est pas mal. La clé du succès du Parti des Young Lords était l’insistance sur la construction de luttes de masse – car ce sont seulement dans les luttes de masse que la communauté peut développer la conscience, l’organisation et le leadership dont elle a besoin pour survivre et avancer. La lutte au lycée Morris et dans d’autres écoles fut un bon exemple de cela. Beaucoup de ces jeunes activistes rejoignirent le Parti des Young Lords. CertainEs aidèrent à former la Ligue des ÉtudiantEs du Tiers-Monde des années plus tard. D’autres devinrent membres du Syndicat des ÉtudiantEs PortoricainEs. Le lycée Morris envoya un impressionnant contingent à la marche du Parti des Young Lords devant les Nations Unies, qui rassembla 10 000 personnes en 1970 et servit d’exemple pour d’autres jeunes gens pendant des années.

D’autres offensives et campagnes d’organisation du Parti des Young Lords

En tant que groupe révolutionnaire, le Parti des Young Lords croyait que la pauvreté et la discrimination ne pouvaient être éliminées, que l’indépendance de Porto Rico et l’auto-détermination aux USA [l’île caribéenne de Porto Rico, en français, Puerto Rico en espagnol, a depuis 1898 un statut d’«État associé » auprès des USA, c’est une colonie disposant de quelques prérogatives autonomes – NdT] ne pouvaient être atteintes sans la destruction du capitalisme monopoliste (impérialisme), un système qui génère de manière routinière une pauvreté et des problèmes de santé extrêmes. Voyant qu’historiquement aucune classe dirigeante prospère ne s’est jamais désistée volontairement, le Parti des Young Lords croyait que la lutte violente serait au final nécessaire à la libération et, en accord avec cela, il prônait et éduquait la communauté à propos du droit des peuples colonisés à l’autodéfense et à la lutte armées.

Dans son travail quotidien d’organisation, cela signifiait que le Parti des Young Lords et ses sympathisantEs refusaient d’être limitéEs à des tactiques qui étaient définies comme « légales » lorsqu’ils/elles intervenaient dans les problèmes sociaux du jour. Les tactiques non-violentes prédominaient, mais si la confrontation ou la violation de la loi étaient nécessaires pour faire avancer une question ou une campagne, elles étaient mises en œuvre. Quelques exemples :

  • L’offensive des ordures : Lorsque les habitantEs d’Harlem Est identifièrent les ordures non collectées comme un problème majeur, les Young Lords, rejointEs par la communauté, commencèrent à nettoyer les rues et à empiler les ordures au coin des rues. Pourtant, lorsque le Département Sanitaire continua à ignorer la situation, nous brûlâmes les ordures dans les rues, bloquant des artères majeures utilisées par les banlieusardEs pour quitter Manhattan vers leurs quartiers. Quand la police vint et essaya d’arrêter des gens, des affrontements éclatèrent. Par la suite, les ordures commencèrent à être collectées régulièrement.

  • Tuberculose. Chaque fin de semaine, des équipes de Young Lords, des sympathisantEs et des docteurEs allaient de porte en porte, faisant des tests pour détecter la tuberculose et le saturnisme. De hautes concentrations de gens à El Barrio furent testéEs positifs/ves (soit ils/elles avaient la tuberculose ou y avait été exposéEs). Après que la municipalité ait refusé de faire stationner un camion de test anti­tuberculeux à Harlem Est, les Young lords saisirent le camion, et avec l’aide de docteurEs et de travailleurs/euses de la santé, ils/elles testèrent des centaines de personnes. Quand la police vint récupérer le camion, la communauté l’encercla et empêcha l’arrestation des Young lords et le départ du camion. Après cela la municipalité commença à faire également couvrir par le camion les communautés pauvres. Ces activités suscitèrent l’attention publique et forcèrent les officielLEs de la ville à allouer des ressources pour affronter les problèmes de tuberculose et de saturnisme.

  • Le vieil hôpital Lincoln : Les Young Lords, les Black Panthers, des travailleurs/euses de l’hôpital (organiséEs au sein du Mouvement d’Unité Révolutionnaire pour la Santé) et des membres de la communauté (organiséEs dans le Comité Penser Lincoln) créèrent des « tables de plaintes patientE- travailleur/euse » à lincoln et dans d’autres hôpitaux. Des centaines de plaintes furent enregistrées, mais l’administration refusa de les aborder. Le vieil hôpital Lincoln était un bâtiment qui avait été condamné et qui était sévèrement en situation de sous-effectifs et de sous-financement. Après qu’une liste de revendications et des manifestations de masse aient été également ignorées, les Young Lords occupèrent l’hôpital au milieu de la nuit. Le matin suivant les médias rendirent publique l’occupation et les problèmes qui y avait mené. Après que des centaines de policiers en colère aient encerclé l’hôpital, les Young Lords s’esquivèrent et seules deux personnes furent arrêtées. La publicité à propos des terribles conditions dans le vieil hôpital Lincoln accéléra la construction du nouvel hôpital qui existe aujourd’hui.

  • « Lincoln Detox » : Durant l’occupation du vieil hôpital Lincoln, une clinique médicale préventive communautaire fut crée dans l’auditorium. Par la suite, une autre revendication fut satisfaite, et le programme historique de désintoxication par l’acuponcture fut établi, avec des docteurEs diplôméEs, des acuponcteurs/rices et du personnel embauché dans la communauté (y compris des Young lords et des Black panthers). Au delà de son temps, pendant des années, le programme de désintoxication de l’hôpital Lincoln servit de modèle international dans le traitement de l’addiction à l’héroïne et à l’alcool avec l’acuponcture au lieu de la méthadone substitutive, un autre produit chimique provocant une dépendance

  • avant qu’il ne soit fermé par le maire koch dans les années 70.

  • Les prisons et la deuxième église du peuple : travaillant avec des groupes de prisonnierEs politiséEs, les Young Lords ont fait pression avec succès sur le Département des Peines pour instituer une série de réformes (c’est à dire des programmes éducatifs, des soins de santé améliorés). Après qu’un membre de l’organisation ait été trouvé mort dans une cellule de Rikers Island, le Parti des Young Lords argua que le Département des Peines était en train de couvrir un assassinat par les gardes en le faisant passer pour un suicide. Citant d’autres cas, le Parti des Young Lords affirmait que cela était un mécanisme routinier de couverture utilisé lorsque les prisonniers étaient tués. Pour faire progresser la protestation contre l’assassinat, mettre en avant les revendications pour la réforme des prisons, et pour éduquer la communauté à propos du droit à l’autodéfense face à la répression du gouvernement, les Young Lords s’emparèrent, pour la seconde fois, une église à Harlem Est. Cette fois-ci, ils/elles étaient arméEs. L’occupation de l’église dura un peu plus d’un mois. Durant ce temps, des programmes « Servir le Peuple » (c’est à dire des programmes de petits déjeuners pour les enfants, des programmes de médecine préventive) et les activités du Front de Libération des détenuEs eurent lieu dans l’église. Quand la rébellion d’Attica se produisit [une mutinerie durant 4 jours dans une prison de l’Etat de New York, qui se termina par un massacre policier : 39 morts, dont 10 gardiens, retenus en otage et qui furent tous tués par les tirs des policiers – NdT], peu après, les prisonniers révoltés demandèrent une participation des Young Lords à l’équipe de négociation extérieure. Deux membres y participèrent, dont un qui avait été récemment relâché et qui avait fait partie du Chapitre [nom donné aux sections du parti, comme chez les Black Panthers – NdT] des Young Lords à Attica.

  • Dans les facs : Beaucoup des activistes qui avaient rejoint le Parti des Young lords et d’autres groupes similaires dans les années 60 avaient été politiséEs dans les luttes pour l’Admission Ouverte et la création des départements d’études noires et portoricaines. Le Parti des Young Lords profitait d’une relation de travail étroite avec beaucoup de groupes dans les facs qui faisaient appel à l’organisation pour soutenir les luttes sur le campus et qui, en retour, soutenaient les campagnes dans la communauté. Beaucoup de ces groupes s’unirent pour former le Syndicat des ÉtudiantEs PortoricainEs (Puerto Rican Student Union, PRSU), qui fit partie plus tard des Young Lords. Certaines des activités que le PRSU, le Parti des Young Lords et les groupes sur les campus effectuaient incluaient : une éducation et une organisation consistante en faveur de l’indépendance de Porto Rico, des occupations de bâtiments en soutien à l’éducation bilingue et aux départements d’études ethniques, des protestations contre le recrutement du ROTC (Reserve Officers’ Training Corps, l’armée finance les études d’étudiantEs en échange d’une préparation militaire et d’une obligation de s’engager dans l’armée après l’obtention du diplôme universitaire -NDT), la guerre du Vietnam et l’occupation militaire de porto Rico, la perturbation de conférences « universitaires » qui excluaient les étudiantEs et la communauté et l’organisation d’une conférence étudiante massive à l’université de Columbia pour construire les « Free Puerto Rico Committees » sur chaque campus et renforcer l’organisation pour la libération de porto Rico.

  • Brutalité policière : les habitantEs de la communauté faisaient souvent irruption dans les bureaux des Young Lords pour demander de l’aide afin de faire cesser des abus policiers. Les Young Lords s’engageaient à intervenir physiquement quand ils/elles étaient témoins de brutalités policières, des rafles de rues violant les droits constitutionnels ou des arrestations illégales. Cela amena des confrontations constantes, des combats corps à corps, des arrestations et la surveillance et la répression gouvernementales.

Les Young Lords étaient une ressource de pouvoir pour la communauté. Les gens venaient vers nous chaque fois qu’ils/elles avaient besoin d’aide. Nous aidions les gens qui n’avaient pas de voix à trouver la leur. Nous soutenions les parents qui combattaient le racisme et le mauvais traitement de leurs enfants dans les écoles publiques. Nous nous tenions aux côtés des travailleurs/euses qui nous demandaient de les aider à se débarrasser d’un syndicat contrôlé par les gangsters. Nous combattions la police après qu’elle ait tué un chauffeur de taxi gitan. Nous utilisions toutes les méthodes à notre disposition pour éduquer et unifier notre peuple : le journal Palante, l’émission de radio Palante sur WBAI, des brochures, et des sessions communautaires d’éducation dans les caves et les centres communautaires. L’organisation servait de pont, de portail qui permettait aux gens, jeunes et vieux/vieilles, de lutter pour survivre et avancer – à se lier à la lutte de masse historique pour la liberté et le respect. La conscience, l’auto- connaissance et la fierté d’une génération fut profondément influencée par les Young Lords.

Conclusion

Les jeunes gens qui formèrent le Parti des Young Lords nous voyaient comme la continuation de la tradition radicale portoricaine. Nous nous unissions autour d’un programme avancé qui appelait à la libération de Porto Rico et à l’auto-détermination aux USA. Nous pensions que chacunE d’entre nous devait se transformer, que nous avions tous et toutes été infectéEs par les poisons de l’impérialisme, du racisme, du sexisme, du classisme. Nous appelions cela « la révolution dans la révolution ». Le combat contre l’individualisme, l’auto-centrage et l’ego en faisait partie. Nous mettions l’accent sur l’auto­discipline, le leadership collectif et la prise de décision en commun. L’esprit « Do your own thing ! » (Fais ton propre truc !) que beaucoup de gens amenaient avec eux/elles affaiblissait la capacité de notre communauté à mettre en œuvre une action politique efficace.

Nous rejetions le racisme, adoption une ferme attitude de reconnaissance de notre héritage africain et Taino [un peuple indien qui avait vécu dans l’île de Porto Rico et dont beaucoup de portoricainEs descendent plus ou moins directement. Ce peuple connut un extinction rapide au contact de la colonisation espagnole mais des métissages eurent le temps de s’opérer – NdT], à une époque où beaucoup de Boricuas (nom d’origine indienne parfois donné aux portoricainEs) avait l’habitude dire qu’ils/elles étaient espagnolEs et nous appelions à l’unité des peuples de couleur. Nous rejetions le sexisme, le machisme et le chauvinisme masculin et, emmenéEs par les femmes dans l’organisation, nous tentions de nous reconstruire – de changer notre pensée et notre conduite – tandis que nous combattions pour changer le monde.

Le Parti des Young Lords avait une analyse de classe. Nous nous préparions à la guerre de classe, pas à la guerre raciale. Notre lutte était dirigée contre le/la riche, la classe dominante blanche et l’Amérique des affaires, pas contre les gens blancs.

Nous ne pensions pas que tous/tes les portoricainEs étaient du côté du peuple, nous savions que les maîtres/esses d’esclaves et les colonialistes cooptent toujours une strate de gens coloniséEs pour les utiliser comme amortisseurs.

Nous promouvions un système de valeurs et de règles de discipline qui gouvernait la manière dont nous nous traitions les unEs les autres, dont nous traitions notre peuple, nos alliéEs et nos ennemiEs. Nous nous identifions avec les plus oppriméEs et pensions que toute la communauté devait se lever ensemble. Ce n’était pas juste à propos des plus éduquéEs et talentueux/euses, leur boulot était d’utiliser les aptitudes acquises pour servir et protéger la communauté.

Après le Parti des Young Lords – Un héritage vivant

La plupart des membres des Young Lords trouva des façons de servir et de protéger la communauté même après que l’organisation ait cessé d’exister. Quelques unEs devinrent des figures médiatiques connues. CertainEs devinrent avocatE ou organisateurs/rices syndicaux/ales. CertainEs devinrent membre des mouvements clandestins de libération noire et portoricaine. Beaucoup devinrent la colonne vertébrale de futures organisations et luttes. Tout au long des années 70 et 80, d’ancienNEs Young Lords furent « presente » dans des mouvements communautaires clés, comme la lutte pour défendre le programme de désintoxication par l’acuponcture de l’hôpital Lincoln (démarré par le Parti des Young Lords et le Parti des Panthères Noires), les mouvements pour sauver et étendre la fac communautaire Hostos [du nom d’un écrivain et patriote portoricain, il s’agit de la première fac bilingue des USA, dans le Bronx, ses activités étaient très tournées vers l’appui à la communauté – NdT], les batailles de survie pour les études portoricaines et l’Admission Ouverte, la formation de coalitions de travailleurs du bâtiments issus des « minorités » et le défi lancé à l’industrie discriminatoire du bâtiment, des campagnes médiatiques comme celle qui établit le show dominical de salsa sur WBAI (qui continue encore aujourd’hui) et l’émission Realidades (Réalités) sur Channel 13, la campagne nationale contre les films racistes et sexistes « Fort Apache, le Bronx ». Et le mouvement pour libérer les nationalistes portoricainEs [il s’agit pour l’essentiel de nationalistes qui organisèrent des soulèvements armés anti-américains à Porto Rico le 26 octobre 1950 ainsi qu’une tentative d’assassinat contre le président Truman le 1er novembre 1950 pour protester contre les massacres perpétrés par l’armée US lors de l’écrasement des révoltes portorocaines – NdT].

Après la fin du Parti des Young Lords, je fus capable de trouver des manières de rester engagé dans des luttes communautaires militantes qui furent souvent reconnue comme s’inscrivant dans la tradition des Young Lords. Comme beaucoup d’autres cadres du Parti des Young Lords, même après que l’organisation ait cessé d’exister, j’ai consciencieusement essayé d’agir en accord avec le Programme en 13 points et avec les Règles de Discipline. Dans mon cœur, et je l’espère, dans mes actions, je suis toujours un Young Lord.

Après le parti des Young Lords, tandis que j’enseignais au Département d’études portoricaines à la fac de Brooklyn, je fus impliqué dans la défense des Admissions Ouvertes et des études portoricaines et dans l’opposition nationale à la décision réactionnaire de Bakke. Bien que nous ne puissions refouler le raz de marée national réactionnaire, nous avons lutté avec dignité et obtenu le respect, et/ou la peur, de nos adversaires.

Comme résultat de l’activité politique sur le campus, aux côtés des activistes étudiants, la moitié desquels étaient des femmes, je fus arrêté trois fois, et battu par la police (sur le campus, au commissariat et sur une table d’opération à l’hôpital du comté de Kings). Je fus empêché à jamais de préparer de la nourriture sur le campus (je me suis une fois échappé dans la voiture d’un de mes étudiant qui la conduisait), poursuivi en procès pendant 2 ans et, bien sûr, viré. Le jury qui me vira était constitué par tous les présidentEs de facs de l’Université de la ville de New York. Vu que c’était un tribunal irrégulier, nous perturbâmes le « procès ». Il ne me fut pas possible de travailler dans quelque fac de la ville que ce soit durant des années (finalement certainEs des présidentEs de facs « juréEs » moururent ou partirent en retraite et je revins furtivement, enseignant le soir à la fac Hunter que je quittais volontairement au début des années 90).

Parce que nous étions un véritable mouvement de masse avec une cause dont la légitimité était largement reconnue par notre communauté, et que nous étions organiséEs et politiquement conscientEs, aucune des plus de 12 personnes arrêtées lors de la lutte à la fac de Brooklyn n’alla en prison – bien que nous fassions face à une avalanche d’accusations, allant de la violation de propriété à l’assaut en passant par l’incitation à l’émeute. Bien sûr, les activistes étudiantEs, qui n’avaient pas encore obtenu leurs diplômes souffrirent le plus. Aujourd’hui la majorité de ces activistes a trouvé moyen de continuer à servir le peuple.

Pendant que j’enseignais à la fac de Brooklyn, je fus aussi le conseiller de la fac pour l’Alliance Portoricaine du campus et un membre fondateur du Collectif révolutionnaire, un groupe qui survécut au violent effondrement de l’Organisation des Travailleurs/euses révolutionnaires portoricainEs [Puerto Rican Revolutionary Workers Organization, PRRWO, une tentative de continuation des Young Lords orientée vers le travail en entreprise et teintée de Marxisme-léninisme-maoisme et aussi de Trotskisme apparemment – NdT] postérieure au Parti des Young Lords et qui avait réussi à rassembler pour lutter ensemble à Brooklyn. Par chance, je renouais le contact avec quelques vieux/vieilles amiEs du parti des Young Lords qui animaient le mouvement, basé aux USA, pour la libération des prisonnierEs nationalistes portoricainEs. Rapidement, nous reconnaissions tous et toutes les liens significatifs d’unité que nous partagions encore, et beaucoup des militantEs de la fac de Brooklyn devinrent actifs/ves dans le mouvement pour libérer les patriotes portoricainEs emprisonnéEs.

À l’apogée de nos activités, éduquant notre communauté et construisant une base de soutien pour la liberté des nationalistes, tandis que nous défendions simultanément le droit à la lutte armée pour la libération nationale, nous nous emparâmes de la Statue de la Liberté en octobre 1977. Cela fut une action politique transcendantale qui, une fois de plus, inscrivit la question de l’indépendance de Porto Rico sur l’agenda du monde. Un de mes meilleurs souvenirs, c’est lorsque les nationalistes furent relâchéEs, peu après l’occupation, nous pûmes donner à Lolita Lebron (une nationaliste portoricaine qui attaqua le parlement US en 1954 et blessa 5 parlementaires) le drapeau que nous avions accroché sur la Statue de la Liberté. Face à des milliers de personnes extatiques, elle l’enroula avec amour autour de ces épaules. La boucle était bouclée.

Des reproductions de certains documents originaux des Young Lords (le Programme en 13 points, les Règles de Discipline, leurs positions sur la participation des femmes, l’avortement…) sont accessibles en anglais sur le site suivant : http://younglords.info
Texte en anglais trouvé sur le site anar britannique Libcom.org, dans sa rubrique « History », sous le titre « A Young Lord Remembers ». La traduction a été réalisée par le Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation (CATS) de Caen (et d’ailleurs) en avril 2012. Le texte a été féminisé.