Wobblies & hobos – 1905-1919

nicoleschulman_64627_coverforwobbliesgraphichistoryIndustrial Workers of the World : agitateurs itinérants aux USA

Toujours à la recherche des racines mythiques du rock ’n’ roll. Pour situer par rapport à de précédentes livraisons nous rappellerons que Woody Guthrie est né en 1915, à peu près au moment où l’histoire racontée par ce livre s’achève. Bien que le bouquin soit livré avec un CD de 21 chansons, dont nous reparlerons à la fin de cet article, son sujet est avant tout d’ordre politique. Il est sûr qu’avec L’Insomniaque (43 rue de Stalingrad / 93 000 Montreuil / 01 48 59 65 42) comme maison d’éditions, l’on ne peut s’attendre à une littérature à l’eau de rose, plutôt du rouge sang et du noir anarchie.

L’on ne fait pas de la musique uniquement avec des instruments et des notes. Ce serait trop facile. Faut encore dépendre d’une culture à laquelle on se rattache au moins phantasmatiquement. Les images d’Epinal que véhiculent le rock sont bien connues. Derrière chaque accord de guitare se cache un lonesome cowboy ( qui fume une cigarette lorsqu’il a réussi à se faire sponsoriser, ce qui arrive de plus en plus souvent dans le rock actuel ) qui croise au coin d’une rue un vieux et pauvre noir aveugle qui pleure en soufflant dans un harmonica. Cœur rebelle et âme perdue. Pas mieux comme casting. N’ont pour toute richesse que leur solitude et leur désespoir. Mais les ont gagnés de haute lutte.

Quand on y réfléchit, ce n’est ni plus ni moins que le mythe du oneself made man. Revu et corrigé certes, de façon à le rendre acceptable aux adolescents qui à leur âge détestent ressembler à leurs pères. Beaucoup de nos louveteaux changeront d’avis en cours de route, mais ceci est une autre histoire.


JOUONS COLLECTIF

Wooblies & Hobos, c’est une autre facette d’un même combat. Mais là il ne s’agit pas de se perdre dans les labyrinthes d’une métaphysique individuelle. Les Wobblies sont des syndicalistes. J’entrevois votre déception. Je vous rassure tout de suite, rien à voir avec nos modernes CFDT à la française. Quoiqu’il nous faille pousser notre petit cocorico national. L’ Industrial Workers of the Wolrd s’inspira, entre autres sources, de notre première CGT, celle de Pelloutier d’obédience anarcho-syndicaliste.

Nos IWW ne sont pas des sociaux-démocrates qui cherchent à améliorer le sort des ouvriers. Leur programme est clair comme de l’eau de roche : détruire le capitalisme. N’ont retenu de Marx que la notion de la lutte des classes en tant que moteur de l’Histoire, avec l’intention d’en quadrupler la puissance en l’alimentant avec du pur kérosène cent pour cent action directe. Contrairement à ce que cette dernière expression montée en épingle terroriste par nos médias démocrates laisserait entendre, leur but n’était pas de former de petits groupes armés décidés à suppléer l’inertie des masses par des attentats divers à l’encontre des symboles du capitalisme triomphant. Privilégiaient avant tout l’action de masse. L’IWW fut avant tout un noyau de militants qui, partout où l’occasion se présentait, essayaient d’insuffler le principe de la grève générale.

L’IWW comprit très vite que les plus grandes capacités de révolte se trouvaient, non pas comme beaucoup de marxistes commençaient à le penser dans une classe ouvrière déjà organisée, mais dans les couches les plus démunies des travailleurs. Non pas ceux qui étaient embauchés sur postes fixes – avec toutes les variables d’ajustement productif que cela supposait – mais les travailleurs saisonniers, qui se déplaçaient d’états en états, pour trouver du taf là où il se présentait.

HOBOS

L’amateur de rock se retrouve en pays de connaissance. A déjà entendu parlé des hobos de la grande crise. Mais ce n’était que la deuxième vague, celle chantée et magnifiée par Guthrie et Dylan. Z’avaient déjà eu des précurseurs. Ne faisaient que suivre une tradition de misère déjà bien établie. Peux pas vous certifier que c’était pire avant ou après le crack boursier, aurais tendance à penser qu’en n’importe quelles circonstances les pauvretés se valent.

Les IWW sont partout. Dans les filatures, dans les mines, sur les coupes des bois, dans les ranchs, dans les rues, partout où les travailleurs corvéables à merci décident de se révolter contre les minables salaires et les sordides logements qui leur sont très chèrement alloués.

Sont aussi dans les campements sauvages des Hobos, c’est là où l’on fait cuire la marmite collective, que l’on distribue les brochures séditieuses, et que l’on chante de nombreux hymnes de lutte qui irrigueront toute la musique populaire américaine. Sont aussi sur les trains, la carte rouge de l’IWW vous assure un voyage à moindre frais, chauffeurs de locomotives et employés du train ont très vite compris que les Wobblies n’aiment ni les jaunes ni les toutous serviles qui lèchent la main de leurs maître.

DE L’AUTRE CÔTE

Rien ne met plus en rogne un patron que d’être confronté à une grève sauvage de longue durée qui vous oblige à augmenter le salaire journalier. Que d’argent perdu pour des bons à rien ! Heureusement l’Amérique est bien le pays de la liberté… d’exploiter son prochain en paix. Là-dessus tout le monde est d’accord. Les Eglises, la Presse, la Police, la Justice. Unanimité sans faille. Un bon travailleur est un travailleur qui travaille pour presque rien, sans se plaindre. Ne doit pas non plus oublier de dire merci.

Pour les meneurs, pour les militants, pour tous ceux qui osent manifester leur désaccord, il existe des remèdes radicaux : la prison, le passage à tabac, le lynchage, les listes noires, les manches de pioche, les Colts et les Remingtons. Un véritable western : les shérifs et les détectives de l’agence Pinkerton sont en première ligne. Pour les coups durs et les ratonnades l’on fait appel aux milices et jusqu’aux étudiants enchantés de délaisser leurs versions latines pour aller faire le coup de feu sur les prolos.

Les patrons n’avaient pas lu Marx, mais la lutte des classes ils l’avaient dans le sang. Les IWW menèrent de grandes grèves, mais le mouvement fut couvert d’opprobre par la presse et les politiciens de tous bords. Quand en 1917 les USA se lancent dans la grande guerre – celle qui fut déclenchée en Europe pour se débarrasser d’une génération socialisante particulièrement virulente – tout mouvement de revendication qui met en péril la sacro-sainte production est considéré comme un acte de trahison au profit de l’Allemagne…

LA FIN DES IWW

Comme la plupart des organisations ouvrières européennes les IWW ne purent officiellement appeler ses adhérents à refuser la conscription. La politique de l’Union Sacrée poussée à son paroxysme interdit toute position divergente. Les IWW y perdirent un peu de leur âme. Mais la répression n’avait pas chômé, de grands procès d’audience nationale avaient eu raison des militants et des responsables les plus en vue. Injustes et très lourdes condamnations à la clef.

Mais en 1917, le mouvement ouvrier international s’engage sur d’autres voies. En Russie le Parti Communiste s’empare du pouvoir d’état. Efficace, mais en contradiction avec l’idéologie des IWW qui par ses luttes tendaient – dans l’absolu – à créer des formes d’organisation directe qui avaient pour but de se substituer à la coquille peu à peu vidée de toute efficience révolutionnaire du pouvoir étatique centralisateur et dominateur.

La création du Parti Communiste Américain qui tenta de noyauter les IWW dans le but d’en faire une courroie de transmission de la future prise du pouvoir marque le début d‘une nouvelle ère… Plus tard l’on sait comment le maccarthisme mettra fin à de telles prétentions… De toutes les manières la mécanisation et l’automatisation qui se mettent en place nécessitent une autre organisation de la main d’œuvre. Plus besoin de saisonniers quand une moissonneuse-batteuse abat le boulot de trois cents bonhommes… Dans les usines les effets du taylorisme permettent de surmultiplier la production. Les USA prennent le chemin du développement de la société de consommation. C’est en elle que naîtra après la deuxième guerre mondiale, le rock ’n’ roll. Comme beaucoup de monde, il a un peu oublié les évènements qui ont précédé sa venue. Mais les braises de l’IWW ne se sont jamais éteintes. L’esprit de révolte a survécu. Tant bien que mal. Mais il ne demande qu’à être ranimé.

REBEL VOICES

a7200332e59218b6b756324830b83837Plus que temps de passer au CD :

JOHN HANDCOX. PETE SEEGER. CISCO HOUSTON. SON HOUSE. BLIND BAKE. SLEEPY JOHN ESTES. BLIND WILLIE McTELL. BUKKA WHITE. PAUL ROBESON. SCHUTZ & KIK. HARRY «  HAYWIRE MAC » McCLINTOCK. SAM JOHNSON. JOSH WHITE & MILLARD LAMPELL. + GOMMARD.

Des grands noms, et de moins connus comme ce Gommard qui se taille la part du lion puisqu’il interprète à lui tout seul six des vingt-et-un morceaux du disque. Les ai déjà vus en concert à Montreuil, voici deux ans, dans un petit bar sympa, Ô 2 Villes. S’appelaient alors le Gommard Blues Band. Depuis ont apparemment laissé tomber la fin de la dénomination. Ne croyez pas qu’ils s’appellent Gommard parce qu’ils jouent en mettant toute la gomme rock’n’roll. Même si c’est ce qu’ils ont l’habitude de faire. Non, Gommar était le nom du chien d’Eric, le batteur, mort – c’est le chien qui est mort pas Eric – c’est tout de suite beaucoup plus bluesy.

N’ont pas inventé le rock’n’roll mais en perpétuent l’esprit. Déjanté et rebelle. Ne se retrouvent pas par hasard sur le disque, sont de toutes les fêtes militantes sur Paris et sa banlieue. Un bon concert ce dimanche après-midi-là à Montreuil, ambiance habitués, poivrots de passage et jeunesse allumée. Me souvient plus trop des morceaux qu’ils ont affûtés, sauf un superbe I Put a Spell On You de Screamin Jay Hauwkins – qui finit sa vie sur Paris – magnifiquement chanté par Kick.

D’ailleurs rien de mieux pour vous faire une idée que d’écouter leurs plages sur le CD, Rebel House :

Question insidieusement frontale : Which side are you on ? Très rhythm and blues, le blues en filigrane et le rythme par devant, martelé par la voix. N’avez pas intérêt à choisir le mauvais côté l’on sent que le Gommard pourrait se mettre en colère, si au début ils se la jouent sympathique vers la fin ça commence à balancer salement et le Gommard vous fusille des yeux d’un air très inquiétant. Feriez mieux de filer avant qu’ils ne vous rattrapent car l’on sent que ça pourrait faire mal.

Un traditionnel : Halleluyah I’M a Bun, rythmique d’enfer par derrière, beau travail de Kick, ça ressemble aux morceaux les plus rugueux d’un John Fogerty, le fond musical plus blues que chez Creedence, mais j’ai remis le morceau six fois de suite.

Lancés comme ils sont, n’hésitent pas à s’attaquer à un monument, le Sixteen Tons de Merle Travis, je ne sais comment il s’y prend Kick mais il silicose si bien sa voix que l’on pense qu’il va cracher ses poumons devant nous, avec le band derrière qui expectore toute sa colère.

Joe Hill, The Rebell Girl. Une histoire d’amour peut-être. Mais surtout de haine à l’encontre des patrons, une joie et une fierté communicative. Ce coup-ci ça sonnerait plutôt comme le Boss.

Big Boss Man, celle-là tout le monde l’a faite. L’a même servi à Presley pour se réveiller sur la fin de sa période navets. Ce coup-ci ils nous la font style Gommard, clébard qui aboie furieusement et qui n’est pas prêt de lâcher la jambe du patron qu’il vient de mordre. Du blues, mais ils ont accéléré le band. Harmonica, pickin’ poingtilleux et cri final.

Big Rock Candy Mountain, un dernier morceau plus festif, une rythmique sautillante, un violon de secours et rame la galère vers la montagne de sucre candy. Un arrière-fond de New Orleans, faut bien cela pour que le hobo poursuive sa route, sa bouteille et ses illusions perdues.

C’était le Gommard, une sacrée réussite, ont su se fondre dans l’ensemble du disque car leurs morceaux sont dispersés, tout en restant eux-mêmes.

Sinon c’est John Handcox qui ouvre le bal avec There is Things happening in this land. N’a enregistré qu’une poignée de chansons, fut surtout un militant politique. L’on dit en note qu’il enregistré cette chanson en 1937 ( Bibliothèque du Congrès ) quelques temps après avoir échappé à un lynchage. Magnifique partition de guitare slide. Vous retrouvez encore Handcox sur le dernier titre : Going to roll that union on, comme un cri de ralliement, mais ce coup-ci, il a oublié la guitare à la maison. C’est dommage.

Raggedy, encore un morceau de John Handcox mais cette fois-ci repris par Pete Seeger, très roots, juste une voix et un banjo par derrière. Manque peut-être sur la plupart des lyrics une inflexion nasillarde que plus tard Dylan n’omettra jamais de poser sur de tels morceaux. Cet hymne au syndicat ressemble parfois à une réclame.

Cisco Houston, entonne The tramp, c’est le pote à Woodie Guthrie, chante un peu comme lui, ont d’ailleurs tous les deux chanté ensemble avec Pete Seeger. Militance culturelle et fondateurs du folk. Encore un morceau de Joe Hill.

Attention, c’est du sérieux Son House dans Country farm House, nous reculons d’une génération. Dans le delta, aux sources du blues, a joué avec Charley Patton et Robert Johnson. Si vous avez mieux comme carte de visite, téléphonez moi. Le blues est avant tout une musique de colère. Ne l’oubliez jamais.
Blind Blake. Pas Early Morning Blues son morceau le plus connu mais Georgia Bound. Guitare ragtime pour chanter la nostalgie de l’état de Georgie, pas vraiment ce qu’il y a de mieux pour un traîne-misère noir, mais le blues est né dans le Sud et d’une manière ou d’une autre il y retourne toujours.

Sleepy John Estes encore un que la misère a poursuivi de chantier en chantier. Une guitare maigrelette mais une voix plaintive qui appuie là où ça fait mal. Sur votre bonne conscience. Elvis et Eddie Cochran l’ont repris, plus tard la petite-bourgeoisie européenne leur emboîtera le pas. L’a droit à deux chansons Hobo Jungle Blues et Special Agent. Pas de police, mais le ferroviaire qui débusquait les passagers clandestins dans les trains et qui ne valait pas plus que l’autre.

L’harmonica imitait pas mal du tout le sifflet du train chez Sleepy John Estes, mais chez Blind Willie McTell c’est la guitare qui donne cette impression de rythme infini et tressauté très caractéristique du wagon qui cahote sur les rails. Travelin’ Man, au bout de trois écoutes vous vous prenez pour un hobo sur le toit d’un convoi. Suffit de fermer les yeux.

Special Streamline de Bukka White, a tout connu, le pénitencier, le blues et la boxe. Autre titre de gloire, cousin de B.B. King c’est lui qui l’hébergera à Memphis quand le futur roi du blues viendra tenter sa chance en jouant sur les trottoirs.

Joe Hill

I Dreammed I saw Joe Hill Last Night par Paul Robeson. Voix funèbre et hommagiale. Sûr qu’il ne pouvait le voir qu’en rêve. Joe Hill fut le chanteur des IWW, il nous reste les morceaux qu’il a composés. N’a pas eu le temps d’en enregistrer un seul, a été condamné à mort pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. Mais que ne ferait-on pas pour se débarrasser d’un meneur ! Joe Hill devint une figure mythique pour tous les folkleux américains. Un personnage peut-être plus grand que sa légende. Un combattant.
Si vous voulez vous en assurer, écouter The preacher and the Slave écrit par Joe Hill et chanté par Harry McClintock, le rôle des églises mis à nu comme jamais. Dans une très courte interview introductive Harry raconte comment il a connu Joe Hill. Membre des IWW et l’auteur de Big Rock Candy Mountain ici reprise par le Gommard.

Sam Johnson interprete pratiquement a cappella We done Quit, une chanson de mineurs qui se mettent en grève, très beau. Emotionnant.

The popular Wobbly chanté par Schultz & Kik, moitié ballade cow-boy avec yoddel de rigueur plus un harmonica très blues. Un mariage de la carpe et du lapin, drôlement heureux. Par contre le gars qui se fait arrêter dans la chanson se retrouve beaucoup moins chanceux.

Nous terminerons avec l’hymne antimilitariste de Millard Lampell & Josh White. Ressemble à une scie leur Billy Boy, mais au niveau des paroles c’est une tronçonneuse qui tranche dans le vif de l’idéologie mortifère du capital.

Une anthologie de combat à posséder. ça tire vers le folk, ça caresse de très loin le country, mais l’ossature en est le blues. Très belle porte d’entrée pour le Gommard.

Damie Chad.
Une chronique du blog KR’TNT ! # 114 – KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME du 18 octobre 2012 autour du livre de Joyce Kornbluh paru chez L’Insomniaque en Février de la même année…