La crise en Californie.

Tout ce que touche le capitalisme devient toxique

Texte de Gifford Hartman publié en janvier 2010 sous le titre « Crisis in California: Everything Touched by Capital Turns Toxic »

 « Je serais très content si vous pou­viez me trou­ver quoi que ce soit de bon (sub­stan­tiel) rela­tif aux condi­tions éco­no­miques en Californie …. Pour moi, la Californie est très impor­tante car nulle part ailleurs, le bou­le­ver­se­ment dû à la concen­tra­tion capi­ta­liste ne s’est ins­tallé à une telle vitesse et de façon aussi cyni­que. »

Lettre de Karl Marx à Friedrich Sorge, 1880

La concen­tra­tion capi­ta­liste qu’obser­vait Marx en 1880 s’est pour­sui­vie jusqu’à aujourd’hui avec une telle rapi­dité que les condi­tions éco­no­miques en Californie ont mûri au point d’en être deve­nues toxi­ques (1). Tandis qu’il pollue autant l’envi­ron­ne­ment rural que l’espace urba­nisé, le capi­tal a atteint un niveau de pro­duc­ti­vité et une capa­cité à accroître la pro­duc­tion de mar­chan­di­ses encore jamais ima­ginés. Cette sur­ca­pa­cité est en contra­dic­tion fla­grante avec son inca­pa­cité crois­sante à satis­faire les besoins humains ; l’inca­pa­cité du capi­tal à accu­mu­ler de la valeur rend super­flus des sec­teurs entiers de la classe ouvrière. C’est dans la vallée cen­trale de Californie que ces condi­tions sont deve­nues les plus dan­ge­reu­ses ; des mai­sons inoc­cupées côtoient la misère sor­dide des nou­veaux sans-abris qui se réfugient dans des vil­la­ges de tentes (Tent Cities) (2) et des bidon­vil­les déjà sur­peu­plés et qui pro­lifèrent. Ce bou­le­ver­se­ment révèle les mys­ti­fi­ca­tions du capi­ta­lisme et en montre sa réalité, comme on le voit avec les chif­fres du tableau sui­vant pour l’ensem­ble des Etats-Unis :

Les saisies aux Etats-Unis

Nouvelles expul­sions : 6 600 par jour
Une expul­sion toutes les 13 secondes (3)
Nombre de loge­ments inoc­cupés : 19 000 000 (4)
Nombre de per­son­nes sans loge­ment : 3 500 000 (y com­pris 1 350 000 enfants) (5)

Ainsi le calcul est simple :

Il y a au moins cinq loge­ment vides par per­sonne sans domi­cile !

crisis-in-california-pamphet-1Les Etats-Unis, un bidonville

Ces rela­tions socia­les toxi­ques ont montré leur totale irra­tio­na­lité en mai 2009, quand les ban­ques ont détruit au bull­do­zer les toutes nou­vel­les mai­sons McMansion (6) inven­dues, situées dans des « exurbs » (7) du Sud de la Californie. Dans tous les Etats-Unis, les gens envoyés dans les foyers n’y trou­vent plus de place, car ces abris sont déjà rem­plis au-delà de leur capa­cité ; à Sacramento, capi­tale de Californie, le foyer de St. John, des­tiné aux femmes et aux enfants, tourne avec 350 per­son­nes par nuit (8). Sacramento est deve­nue mon­dia­le­ment connue, quand sa « Tent City » a fait le tour du monde des médias.

Lorsque le gou­ver­neur de Californie, Arnold Schwarzenegger, et le maire de Sacramento pri­rent la décision d’expul­ser « Tent City », le magis­trat jus­ti­fia cette opé­ration en affir­mant : « Ils ne peu­vent pas rester ici, cette terre est toxi­que (9). »

Bien que les Tent Cities exis­tent par­tout aux Etats-Unis, c’est en Californie qu’il en est apparu le plus.

La vallée centrale de Californie : au cœur de la région toxi­que, le long de l’auto­route 99

« Ainsi, malgré toutes les van­tar­di­ses sur l’indus­trie prin­ci­pale de cet Etat [l’agri­culture], les mil­liards de dol­lars qu’elle apporte à l’éco­nomie et les mira­cles qu’elle a accom­pli dans la pro­duc­tion et l’inno­va­tion tech­ni­que, l’agri­culture de Californie est en train de dis­pa­raître, car la valeur crois­sante de son sol pro­vient des ventes de ter­rains cons­truc­ti­bles ou de l’immo­bi­lier plus que du coton, du bétail ou des aman­des. »

Gray Brechin, Farewell, Promised Land (10).

Voyage toxi­que

La Vallée cen­trale de Californie s’étend sur 720 km de long et 80 km de large. Elle est située entre les mon­ta­gnes de la Sierra Nevada et de Coast Range. Les deux prin­ci­paux cours d’eau sont les fleu­ves Sacramento et San Joaquin, tra­ver­sant l’un le nord et l’autre le sud et don­nant leur nom aux deux par­ties de la vallée ; ils se rejoi­gnent en un immense delta qui se jette dans la baie de San Francisco.

C’est la région agri­cole la plus pro­duc­tive du monde.

C’est aussi la région où, depuis les années 1970, un des sols les plus fer­ti­les de la planète a été recou­vert par le dével­op­pement de zones pavillon­nai­res et de lotis­se­ments néo-ruraux. La vallée connaît pro­ba­ble­ment le taux de sai­sies de mai­sons le plus élevé du monde ; cer­tains endroits ont enre­gis­tré les plus bas salai­res de l’his­toire des Etats-Unis et les taux de chômage les plus élevés. L’air de la ville d’Arvin, dans l’extrême sud de la Vallée, est le plus pollué des Etats-Unis (14).

L’auto­route 99 par­court du nord au sud le cœur de la vallée. Sacramento est la plaque tour­nante entre les moi­tiés nord et sud de la Vallée. Elle est entourée d’une ban­lieue ten­ta­cu­laire qui a rem­placé la terre agri­cole. Quand on voyage le long de cette auto­route, c’est une longue suite de cons­truc­tions : gale­ries mar­chan­des ; conces­sion­nai­res auto­mo­bi­les ; bou­ti­ques ven­dant du matériel de cons­truc­tion, des trac­teurs, des bull­do­zers, des trac­to­pel­les… ; mar­chands de bateaux de plai­sance ; inter­mi­na­bles rangées de cara­va­nes ; empla­ce­ments de bureaux ; pan­neaux ; et ponts enjam­bant des rivières et cer­tai­nes par­ties du delta.

La grande ville sui­vante est Stockton, un port en eau pro­fonde qui relie les prin­ci­pa­les rivières au delta, à la baie, et au com­merce trans­Pa­ci­fi­que ; c’est un port impor­tant. Elle a été réc­emment qua­li­fiée du titre peu glo­rieux de « ville la plus misé­rable des Etats-Unis » par le maga­zine Forbes.

En conti­nuant vers le sud, c’est encore et tou­jours cette même culture amé­ric­aine de la consom­ma­tion : des gale­ries avec des par­kings immen­ses ; des églises et même un immense lycée chrétien dans la ville de Ripon ; des voies de chemin de fer et des gares de triage le long de l’auto­route 99 ; d’immen­ses silos à grains et des cons­truc­tions pour ache­mi­ner les pro­duits agri­co­les, la plu­part aban­donnés.

Ensuite vient Modesto, connue pour être la pre­mière ville des Etats-Unis pour le vol des voi­tu­res et la cin­quième dans la liste des villes les plus pau­vres, établie par Forbes. Elle est entourée de ter­rains fer­ti­les qui furent cons­truits pen­dant le boom immo­bi­lier pour four­nir de nou­veaux loge­ments à des ban­lieu­sards venant d’aussi loin que Sacramento ou Fresno, et même à des gens prêts à faire plus de deux heures de voi­ture pour aller dans la Baie de San Francisco et autant pour en reve­nir.

Merced est la deuxième dans la liste des villes des Etats-Unis connais­sant les plus forts taux de chômage, avec 20,4 % (15). On y voit, le long de l’auto­route 99, les mêmes chaînes de maga­sins que par­tout ailleurs aux Etats-Unis. Et, juste à côté, l’agri­culture indus­trielle : des champs, des ver­gers, des han­gars à bétail le long de l’auto­route ainsi que des mar­chands de machi­nes agri­co­les, de trac­teurs, et de four­gons à bes­tiaux. Un grand nombre de canaux d’irri­ga­tion amènent l’eau du Nord humide vers le Sud très sec de la Vallée. Beaucoup de ces infra­struc­tu­res indus­triel­les sont en train de rouiller et sont aban­données, il y a beau­coup d’usines avec d’énormes pan­neaux « A vendre ».

Puis voici Fresno, la cin­quième ville de Californie avec 500 000 habi­tants. C’est la plaque tour­nante de la partie sud de la vallée et elle semble tou­jours bai­gner dans un brouillard brunâtre, sur­tout pen­dant les mois d’été où la cha­leur est éto­uff­ante. C’est la « capi­tale de l’asthme de la Californie », cette affec­tion tou­chant un enfant sur trois (16). C’est aussi le comté agri­cole le plus pro­duc­tif et le plus ren­ta­ble de tous les Etats-Unis.

Il y avait là aussi, en ville, trois gran­des « Tent Cities » (17) ainsi que d’autres cam­pe­ments plus petits. La pre­mière « Tent City », située sur un ter­rain de la société fer­ro­viaire Union Pacific, fut expulsée en juillet 2009. Ce lieu était litté­ra­lement toxi­que : on y a déc­ouvert des eaux de vidange suin­tant par des trous dans le sol au cours de l’été 2008, car il avait sans doute servi pour réparer des voi­tu­res.

Une autre fut sur­nommée « New Jack City » après la sortie du film dans les années 1990 (18) sur les gangs de la drogue, car deux meur­tres y avaient déjà été commis.

La troi­sième comp­tait beau­coup d’abris fabri­qués avec du bois de récu­pération. On l’appelle aussi « Taco Flats » ou « Little Tijuana », car la plu­part des occu­pants sont des Latinos qui vien­nent là pour cher­cher du tra­vail dans l’agri­culture. La séc­her­esse, qui a duré trois ans, a entraîné une forte dimi­nu­tion des sur­fa­ces cultivées et a donc réduit l’offre de tra­vail.

La méca­ni­sation de plus en plus poussée de l’agri­culture et l’uti­li­sa­tion des OGM per­met­tent d’aug­men­ter les ren­de­ments en uti­li­sant moins de tra­vailleurs. Le tra­vail agri­cole a tou­jours été sai­son­nier et ins­ta­ble. En général, 92 % des tra­vailleurs agri­co­les sont des migrants ; cela remonte à la ruée vers l’or de 1849. A cette époque des tra­vailleurs chi­nois, les coo­lies, étaient amenés aux Etats-Unis pour la cons­truc­tion des voies de chemin de fer. Une fois que le trans­conti­nen­tal fut ter­miné, en 1869, beau­coup d’entre eux furent employés dans les mines jusqu’à ce que le racisme et la dimi­nu­tion des ren­de­ments les fas­sent partir. Certains tra­vaillèrent dans les champs jusqu’à ce que les pogroms anti-chi­nois, qui com­mencèrent vers la fin des années 1870, les chas­sent vers les villes (19).

Les fer­miers se tournèrent alors vers les immi­grés japo­nais, sikhs, phi­lip­pins, arméniens, ita­liens et por­tu­gais ; plus tard ils employèrent des « Okies » et « Arkies » (on appe­lait ainsi des Blancs nés aux Etats-Unis, anciens fer­miers ou métayers venant d’Oklahoma et d’Arkansas, et même du Missouri et du Texas), réfugiés du Dust Bowl (20) pen­dant la Grande Dépression. Des Mexicains furent amenés avec le pro­gramme Bracero en 1942 et ils for­ment la majo­rité des tra­vailleurs d’aujourd’hui, avec les immi­grés d’Amérique cen­trale.

One Big Union

C’est à Fresno que s’est déroulée la lutte vic­to­rieuse des IWW (autre­ment appelés wob­blies) (21) pour la liberté de parole, qui a duré six mois en 1910-1911. Plusieurs cen­tai­nes de wob­blies et tra­vailleurs migrants vin­rent de toute la côte ouest pour sou­te­nir la reven­di­ca­tion du droit à se réunir dans la rue et à pren­dre la parole du haut de leurs « soap­box » (boîte à savon sur laquelle se juchaient les ora­teurs IWW).

A cette époque, Fresno se qua­li­fiait elle-même de « capi­tale mon­diale du raisin » et à la fin de chaque été, 5 000 tra­vailleurs japo­nais et 3 000 hobos (22) y arri­vaient pour les ven­dan­ges. Un peu comme dans les « Tent Cities » d’aujourd’hui, les tra­vailleurs cam­paient en ville et cher­chaient à s’embau­cher au « marché aux escla­ves ». Les Japonais étaient sou­vent très unis et prêts à faire grève pour de meilleurs salai­res et de meilleu­res condi­tions [de tra­vail et de loge­ment]. Sachant que les IWW essayaient d’orga­ni­ser les tra­vailleurs quel­les que soient leur race, natio­na­lité ou ori­gine eth­ni­que, les élites loca­les étaient ter­ri­fiées à l’idée que les Japonais puis­sent rejoin­dre les Wobblies.

Pour empêcher la liberté de parole, il y avait un harcè­lement vio­lent et des arres­ta­tions en masse d’ora­teurs de « soap­boxes » (boîtes à savons sur les­quel­les se juchaient les ora­teurs) des IWW, sou­vent avec l’aide de mili­ces.

Au tri­bu­nal, les Wobblies sai­sis­saient toutes les occa­sions pour s’expri­mer le plus pos­si­ble dans les procès poli­ti­ques, pour faire de la pro­pa­gande pour la lutte de classe. Leur lutte pour la liberté de parole fut vic­to­rieuse et condui­sit les res­pon­sa­bles poli­ti­ques de Fresno et les pro­priét­aires ter­riens à se mon­trer plus tolérants envers les ten­ta­ti­ves de l’AFL, le syn­di­cat conser­va­teur, pour orga­ni­ser les ouvriers agri­co­les.

La plus grande bagarre avec l’IWW eut lieu en 1913, dans la vallée de Sacramento, dans la région de culture du hou­blon. Le Durst Ranch, à Wheatland, publia dans tous les jour­naux de Californie une offre d’embau­che de 2 700 ouvriers, alors qu’il n’en avait besoin que de 1 500. Il vou­lait ainsi créer un sur­plus de main-d’œuvre pour bais­ser les salai­res. 2 800 ouvriers de 27 ori­gi­nes eth­ni­ques différ­entes, par­lant 24 lan­gues, se présentèrent. Il fai­sait extrê­mement chaud, il n’y avait pas d’eau pota­ble et il y avait seu­le­ment neuf toi­let­tes extéri­eures. Les gens devaient dormir dehors s’ils ne vou­laient pas payer une tente à Durst ; sans eau pota­ble, la seule pos­si­bi­lité était d’ache­ter 5 cents une limo­nade au cousin de Durst. Les bou­ti­ques de la ville n’avaient pas le droit de vendre sur l’exploi­ta­tion, obli­geant les gens à ache­ter à la propre bou­ti­que de Durst. Comme il n’y avait ni ramas­sage des ordu­res, ni aucune hygiène, beau­coup de gens tom­baient mala­des. Durst rete­nait 10 % sur la paye jusqu’à la fin de la réc­olte, espérant que ces condi­tions dégu­eul­asses entraî­neraient beau­coup de départs sans que les gens tou­chent leur salaire com­plet.

Environ une cen­taine d’hommes avaient l’expéri­ence des IWW ; ils convo­quèrent rapi­de­ment un mee­ting qui mit davan­tage l’accent sur les mau­vai­ses condi­tions de vie que sur les salai­res. Lorsque 2 000 per­son­nes se ras­sem­blèrent pour écouter les orga­ni­sa­teurs IWW, le mee­ting fut dis­persé par le shérif. Dans l’émeute qui suivit. quatre per­son­nes furent tuées, deux ouvriers et deux hommes du shérif. La plu­part des ouvriers quittèrent Durst Ranch et se dis­persèrent. Une chasse aux sor­cières fut engagée contre les Wobblies, accusés d’inci­ter à l’émeute, et on ter­ro­risa les mili­tants dans toute la Californie. Une enquête de l’Etat sur les condi­tions misé­rables du ranch eut pour conséqu­ence de nou­vel­les lois impo­sant des amél­io­rations des condi­tions de vie des ouvriers agri­co­les.

Le mou­ve­ment mené par Cesar Chavez à Delano, en 1965, pour orga­ni­ser les ouvriers agri­co­les, donna nais­sance à l’UFW (United Farm Workers) et montra que cin­quante ans après, les condi­tions des ouvriers de la Vallée n’avaient pas changé. Le main­tien d’une « armée de rés­erve » uti­li­sait le racisme pour entre­te­nir divi­sion et fai­blesse chez les ouvriers, entraînait des salai­res fai­bles et les condi­tions des années 1960 n’étaient pas très différ­entes de celles qui avaient pro­vo­qué la rév­olte de Wheatland en 1913. Et elles sont pres­que les mêmes aujourd’hui.

La bulle immobilière dans les « exurbs »

L’emploi agri­cole a tou­jours été sai­son­nier, donc la crois­sance de la cons­truc­tion immo­bi­lière dans la Vallée cen­trale depuis trente ans a permis aux ouvriers d’avoir une maison en dur. Le boom immo­bi­lier suivit de près la bulle Internet de 2001, les besoins en main-d’œuvre aug­mentèrent, jusqu’à ce que la bulle immo­bi­lière éclate à son tour en 2007. En même temps que la dimi­nu­tion de l’emploi dans la cons­truc­tion, la séc­her­esse, la pour­suite de la méca­ni­sation et de la concen­tra­tion dans l’agri­culture ont entraîné encore plus de chômage. Il y a tout sim­ple­ment moins de fermes, cha­cune étant plus grande et plus pro­duc­tive. Ce pro­ces­sus de concen­tra­tion capi­ta­liste crois­sante, dans une région qui était déjà la pre­mière des Etats-Unis pour l’indus­tria­li­sa­tion de l’agri­culture, ren­force le pro­ces­sus de rem­pla­ce­ment des gens par des machi­nes, de tra­vail vivant par du « tra­vail mort ».

Pour amél­iorer la pro­duc­tion agri­cole sur une telle éch­elle, il fal­lait cons­truire un vaste réseau d’ache­mi­ne­ment et de sto­ckage de l’eau, ce qui fut fait en deux étapes. Avant le projet de 1937 du gou­ver­ne­ment fédéral pour la Vallée cen­trale, il n’y avait pas assez d’eau dans la vallée San Joaquin pour faire pous­ser des légumes, des fruits ou des aman­des. Il fal­lait cons­truire tout un système d’irri­ga­tion : des canaux, des bar­ra­ges, des rés­ervoirs et des pompes pour amener l’eau depuis le niveau de la mer jusqu’à 150 mètres d’alti­tude dans le sud aride. En 1961, le State Water Project étendit ce système pour amener l’eau encore plus au sud, au delà de la Vallée, en Californie du Sud, créant ainsi le plus grand réseau d’irri­ga­tion du monde.

Le dével­op­pement de la Californie a tou­jours été fondé sur l’idéo­logie d’une crois­sance sans fin et de la valeur immo­bi­lière du sol. Dès le début des années 1980, des lois dérégulèrent la dis­tri­bu­tion de l’eau ; les tech­no­cra­tes des com­pa­gnies des eaux furent moins liés à l’agri­culture et davan­tage aux pro­mo­teurs. Les électeurs des ban­lieues approuvèrent des lois auto­ri­sant un dével­op­pement encore plus ten­ta­cu­laire. La demande d’adduc­tions d’eau plus étendues créa les condi­tions pour de futu­res pér­iodes de séc­her­esse.

L’urba­ni­sa­tion de cette terre fer­tile, avec la création de villes nou­vel­les et de ban­lieues, modi­fia l’uti­li­sa­tion de l’eau : moins pour l’agri­culture et plus pour les nou­vel­les cons­truc­tions. Le dével­op­pement de cen­tres aussi éloignés que Orange County au Sud de la Californie, Las Vegas dans le Nevada et Phoenix en Arizona (à plus de 1 000 km, dans la Sunbelt à la crois­sance rapide) fut ainsi rendu pos­si­ble. Cette eau, éch­appant aux obli­ga­tions de l’agri­culture de la Vallée, contri­buait à entre­te­nir le gigan­tes­que boom immo­bi­lier dans tout l’ouest des Etats-Unis.

Travail toxique

La Vallée a été cultivée inten­si­ve­ment après la déc­ouv­erte de l’or en 1848 ; le capi­ta­lisme surgit appa­rem­ment de nulle part. C’est encore grâce à l’or de Californie que l’éco­nomie mon­diale se rétablit à l’époque de la révo­lution en Europe et que l’urba­ni­sa­tion indus­trielle se dével­oppa à tra­vers tout le conti­nent nord-amé­ricain. L’accu­mu­la­tion capi­ta­liste autour de la baie de San Francisco fut l’une des plus dyna­mi­ques de la fin du xixe siècle. Le dével­op­pement ultérieur de la Californie reposa sur « l’or vert et noir » (23), agri­culture inten­sive et pét­role. Dès le début du xxe siècle plu­sieurs comtés de Californie figurèrent en tête pour la pro­duc­tion amé­ric­aine dans ces deux domai­nes.

Ce pro­ces­sus éco­no­mique et social, décrit par Marx comme le pas­sage de la domi­na­tion for­melle à la domi­na­tion réelle du capi­tal sur le tra­vail (24), créa des sec­teurs agri­co­les hau­te­ment pro­duc­tifs, qui béné­ficièrent de moyens de trans­port plus moder­nes pour vendre leurs pro­duits sur le marché mon­dial. Ces trans­for­ma­tions jetèrent les pro­duc­teurs les plus fai­bles dans la crise et amenèrent des mil­lions de pay­sans d’Europe à quit­ter les cam­pa­gnes, et pour beau­coup d’entre eux à émigrer vers d’autres pays comme les Etats-Unis. Plus dra­ma­ti­que encore, ce pro­ces­sus entraîna la baisse du prix des pro­duits ali­men­tai­res, donc la baisse du coût de la force de tra­vail ; dans cer­tains cas le niveau de vie de la classe ouvrière a aug­menté bien que les salai­res aient baissé (19).

Le roman de Frank Norris, The Octopus : A California Story (1901), est une vivante pein­ture des débuts de cette prolé­ta­ri­sation de la force de tra­vail dans l’agri­culture dans la Vallée cen­trale dans les années 1880. Une géné­ration plus tard, John Steinbeck, dans son roman Les Raisins de la colère, com­plète, à tra­vers l’his­toire de de la famille Joad, la des­crip­tion de ce pro­ces­sus de prolé­ta­ri­sation des fer­miers d’Oklahoma chassés de la cam­pa­gne par « le Dust Bowl », venus se réfugier dans la Vallée cen­trale et y cher­chant déses­pérément du tra­vail pen­dant la Grande Dépression.

Ces condi­tions sont les mêmes aujourd’hui pour toute une armée de tra­vailleurs agri­co­les lati­nos, par­cou­rant la Californie à la recher­che d’un dur tra­vail mal payé, dans une grande pré­carité, avec cette différ­ence impor­tante que l’expo­si­tion aux pro­duits chi­mi­ques toxi­ques est plus grave. Comme les fermes et les ranchs sont de plus en plus concen­trés et cen­tra­lisés, ils se sont orientés vers une pro­duc­tion moins diver­si­fiée et plus lucra­tive, de cultu­res de rap­port et d’éle­vage. Entre 1996 et 2006 la pro­duc­tion lai­tière a aug­menté de 72 % et celle d’aman­des de 127 % (25).

Il est stupéfiant de voir que 80 % de la pro­duc­tion mon­diale d’aman­des pro­vient des 250 000 hec­ta­res d’aman­diers de la Vallée cen­trale. Mais cette forme de mono­culture a des effets toxi­ques : les abeilles sont néc­ess­aires pour pol­li­ni­ser les aman­diers, mais elles ne sont tout sim­ple­ment pas assez nom­breu­ses dans la Vallée. Plus de 40 mil­liards d’abeilles sont amenées en février pour les trois semai­nes de flo­rai­son des aman­diers. Certaines arri­vent par camions, d’aussi loin que la Nouvelle Angleterre et d’autres, par avion, d’encore plus loin, notam­ment d’Australie.

En route, les abeilles sont nour­ries avec une nour­ri­ture bon marché pour insec­tes : « Sirop de maïs riche en fruc­tose et pollen importé de Chine (27). » Ce mode de vie empoi­sonné où les abeilles sont pros­ti­tuées pour de l’argent est peut-être la cause du Syndrome d’effon­dre­ment des colo­nies d’abeilles [il s’agit du phénomène appelé CCD, pour l’expres­sion anglaise « Colony Collapse Disorder », ou « syn­drome de dis­pa­ri­tion des abeilles » ou encore « Fall-Dwindle Disease » (mala­die du déclin autom­nal des abeilles) ; ce phénomène épi­démique d’ampleur mon­diale touche les abeilles domes­ti­ques et peut-être sau­va­ges, et par contre-coup la pro­duc­tion api­cole. Il reste inex­pli­qué.] : 80 % des abeilles ont quitté leurs ruches et ne sont jamais reve­nues. Comme les abeilles pol­li­ni­sent envi­ron les deux tiers des plan­tes qui ensuite se retrou­vent dans la nour­ri­ture, cela pour­rait se révéler dés­astreux.

Au fur et à mesure que l’agri­culture devient plus mécanisée et auto­ma­tisée, elle met de plus en plus de gens au chômage. Avec l’effon­dre­ment pres­que total de la cons­truc­tion immo­bi­lière, le taux offi­ciel de chômage dans la vallée de San Joaquin est de 15,4 %, ce qui ne prend pas en compte ceux qui sont sous-employés ou ceux qui ont quitté leur tra­vail pour en cher­cher un autre. Le taux actuel est pro­ba­ble­ment le double ; le comté qui enre­gis­tre le taux offi­ciel le plus élevé celui de Colusa, dans la vallée de Sacramento : 26,7 % (28).

La « capi­tale du chômage » de Californie est Mendota, une ville située à 50 km à l’ouest de Fresno et comp­tant un peu moins de 10 000 habi­tants, Latinos à 95 %. Les anciens ouvriers agri­co­les for­ment pres­que 41 % des chômeurs. Mendota prétend être la « capi­tale mon­diale du can­ta­loup » (variété de melon), mais c’est une plante qui a besoin d’irri­ga­tion et la séc­her­esse a empêché de la plan­ter. En ville l’alcoo­lisme est chro­ni­que et les struc­tu­res socia­les se sont effon­drées ; le seul tra­vail pos­si­ble se trouve à la prison fédé­rale de Mendota, située pas très loin, dont la cons­truc­tion n’est achevée qu’à 40 % à cause de pro­blèmes de budget. Il manque 115 mil­lions de dol­lars pour la ter­mi­ner, aussi les 49,9 mil­lions de dol­lars promis par Obama don­ne­raient-ils un coup de fouet… son achè­vement per­met­tra de créer 350 emplois. Mais si l’effon­dre­ment social conti­nue, les habi­tants de Mendota devront soit être embau­chés comme gar­diens de prison soit se retrou­ver der­rière les bar­reaux. Les pri­sons sont une indus­trie flo­ris­sante en Californie, où un pri­son­nier sur six est condamné à vie.

Automédication toxique

Les Tent Cities de Fresno sont confrontées à une toxi­co­ma­nie élevée, sur­tout de la metham­phé­ta­mine (appelée cou­ram­ment « meth »ou « crys­tal meth »). Les per­son­nels de santé ont déclaré que l’usage de cette drogue psy­cho­sti­mu­lante et créant une forte dép­end­ance a atteint des pro­por­tions « épi­démiques », don­nant à Fresno l’appel­la­tion de « capi­tale mon­diale de la meth ».

C’est dans la vallée que la fabri­ca­tion de cette drogue moderne a pris son essor lorsqu’elle est deve­nue illé­gale [dans les années 1960] : elle fut alors fabri­quée ici et dis­tri­buée par des gangs de motards comme les Hell’s Angels. Les réseaux de motards de la drogue ont été dém­antelés par la police au début des années 1990, mais ils ont été rem­placés par des réseaux de drogue mexi­cains uti­li­sant des moyens plus ratio­na­lisés de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion.

La vallée autour de Fresno est le centre de la pro­duc­tion de meth, non seu­le­ment en raison de ceux qui la contrôlent sur une grande éch­elle, mais aussi en raison de dizai­nes de mil­liers de petits pro­duc­teurs, qui uti­li­sent tous des ins­tal­la­tions rura­les pour leurs labos clan­des­tins évitant ainsi leur dét­ection. Les pro­duits chi­mi­ques uti­lisés pour fabri­quer la meth ne sont pas seu­le­ment hau­te­ment toxi­ques, mais aussi très inflam­ma­bles. Beaucoup de labos fabri­quant de la meth ont explosé à cause de ça, tuant les fabri­cants et incen­diant tous les bâtiments alen­tour. Pour chaque kilo de meth pro­duit, il y a cinq à sept kilos de déchets. Ces déchets toxi­ques sont sou­vent enfouis dans des zones rura­les éloignées, comme les rés­erves ou les forêts des col­li­nes entou­rant la Vallée.

Bakersfield et les déchets toxiques

de l’extrême sud de la vallée

On a déc­ouvert du pét­role dans la partie sud de la Vallée, dans le comté de Kern, en 1899. Ses gise­ments de pét­role en ont fait un des comtés des plus ren­ta­bles des Etats-Unis ; la ville de Bakersfield est appelée « capi­tale du pét­role de Californie ». Les raf­fi­ne­ries ajou­tent à la pol­lu­tion de l’air, reje­tant des sub­stan­ces chi­mi­ques comme de l’acide fluor­hy­dri­que. Bakersfield tfi­gure en tête du clas­se­ment des villes les plus pol­luées des Etats-Unis, au vu de la quan­tité de par­ti­cu­les (29). Le maga­zine Women’s Health a classé Bakersfield comme la ville des Etats-Unis la plus mal­saine pour les femmes (30).

L’extrême sud de la vallée était un désert jusqu’à ce que les pro­jets d’adduc­tion d’eau ren­dent pos­si­ble l’irri­ga­tion. Le sol contient du sel et des métaux alca­lins (alca­lis) venant d’anciens fonds marins ; ceux-ci sont les­sivés par l’irri­ga­tion et se mél­angent avec les pro­duits chi­mi­ques de l’agri­culture, pro­dui­sant une eau toxi­que. Il avait été décidé de faire un drai­nage énorme le long du centre de la Vallée pour pomper cette eau pol­luée et la reje­ter dans la Baie de San Francisco. Mais ce projet ne fut jamais réalisé à cause des pro­tes­ta­tions des déf­enseurs de l’envi­ron­ne­ment.

Il y eut un seul drai­nage, à San Luis, à une faible dis­tance de la Réserve natio­nale pour les oiseaux migra­teurs de Kesterton. Les étangs ali­mentés avec cette eau inondèrent les marais et les terres près de Los Banos. Les oiseaux com­mencèrent à mourir en grand nombre, les petits nais­saient avec de graves mal­for­ma­tions et le bétail qui pâturait alen­tour tomba malade. La cause en était le sélénium, un élément natu­rel dont on trouve fréqu­emment la trace dans le sol du désert ; il était les­sivé par l’irri­ga­tion et entraîné par les eaux du drai­nage. La solu­tion à court terme consista à drai­ner les étangs, à les recou­vrir de terre, et à fermer la rés­erve de faune sau­vage (31).

L’usage inten­sif de la chimie en agri­culture permet des ren­de­ments supérieurs sur moins d’hec­ta­res, mais l’agro­bu­si­ness inten­si­fie le pro­ces­sus d’épui­sement du sol, ce qui entraî­nera pro­ba­ble­ment la dés­er­ti­fi­cation, une sali­nité accrue et la conta­mi­na­tion par des résidus toxi­ques. Le pro­ces­sus d’accu­mu­la­tion devient aveu­gle aux résidus toxi­ques de l’uti­li­sa­tion des insec­ti­ci­des, fon­gi­ci­des, her­bi­ci­des et engrais pro­ve­nant du pét­role. Le drai­nage dans ces pro­jets d’irri­ga­tion inten­sive pollue l’eau du sol avec toutes ces toxi­nes, mais cela les­sive aussi les métaux toxi­ques comme le plomb et le sélénium conte­nus dans les sels du sol.

Il en rés­ulte des mala­dies car ces pro­duits chi­mi­ques contien­nent des éléments cancérigènes, d’autres qui pro­dui­sent des mal­for­ma­tions et des mutagènes qui pro­dui­sent des muta­tions géné­tiques. En 1988, le syn­di­cat UFW (United Farm Workers) demanda que cinq pes­ti­ci­des toxi­ques uti­lisés par les viti­culteurs (dino­seb, bro­mure de mét­hyle, para­thion, phos­drine et captan) soient inter­dits.

Les pro­duits chi­mi­ques uti­lisés dans les pes­ti­ci­des et pour d’autres usages agri­co­les sont rare­ment testés cor­rec­te­ment et les effets de leurs com­bi­nai­sons sur le corps humain ne sont pra­ti­que­ment jamais étudiés. En 1996, une étude fédé­rale a déc­ouvert que la com­bi­nai­son de cer­tains pro­duits chi­mi­ques accé­lérait la pro­duc­tion d’oes­trogènes par le corps humain, une hor­mone qui entraîne des can­cers du sein et le dys­fonc­tion­ne­ment des orga­nes sexuels mas­cu­lins. Les hommes tra­vaillant dans des usines de pes­ti­ci­des près de Stockton sont deve­nus sté­riles après avoir été exposés à ces pro­duits (32).

Les habitations toxiques

Le boom de la cons­truc­tion a été entre­tenu par la création de CDO (Collateralized debt obli­ga­tions) (33) lancés par le mar­ke­ting agres­sif des sub­pri­mes et d’autres prêts hypo­théc­aires ris­qués, qui devin­rent des « actifs toxi­ques » quand la bulle éclata et que le marché se trouva rapi­de­ment atteint par les sai­sies immo­bi­lières et l’effon­dre­ment des prix. Un actif toxi­que est un concept abs­trait qui touche sur­tout les inves­tis­seurs qui y sont exposés, mais le boom immo­bi­lier fit cons­truire des cen­tai­nes de mil­liers de mai­sons qui étaient litté­ra­lement toxi­ques. La simul­tanéité du boom immo­bi­lier natio­nal et de la recons­truc­tion de la Nouvelle-Orléans après le pas­sage des typhons Katrina et Rita en 2005, créa une demande mas­sive en cloi­sons sèches (dry­wall : sorte de Placoplâtre).

C’est ainsi que les cons­truc­teurs importèrent de Chine 250 mil­lions de kilos de cloi­sons sèches qui furent uti­lisées en partie pour la cons­truc­tion des mai­sons dans la Vallée cen­trale. Ces cloi­sons sèches chi­noi­ses dégagent du disul­fure de car­bone et de l’acide sul­fo­car­bo­ni­que, pro­vo­quant la cor­ro­sion des tuyaux en cuivre, des fils élect­riques et des ins­tal­la­tions. Les gens ont souf­fert de sai­gne­ments de nez, d’eczémas et les enfants ont attrapé des infec­tions des oreilles et des voies res­pi­ra­toi­res supéri­eures (34). Voilà la par­faite métap­hore qui qua­li­fie les condi­tions éco­no­miques que crée sans ver­go­gne la concen­tra­tion capi­ta­liste et dans les­quel­les la classe ouvrière des Etats-Unis doit vivre et tra­vailler dure­ment : toxi­que !

Une image de notre propre avenir ?

La concen­tra­tion capi­ta­liste a conti­nué sans répit en Californie depuis l’allu­sion de Marx, et elle s’est même accélérée, lais­sant dans son sillage un pays dévasté et empoi­sonné, des écosystèmes conta­minés et des vies intoxi­quées, car le capi­ta­lisme conta­mine tout ce qu’il touche jusque dans les rela­tions humai­nes et socia­les.

Dans son roman The Octopus, Frank Norris appelle « véri­table esprit de la Californie » une atti­tude qu’il fait remon­ter à la ruée vers l’or et qui est tou­jours vivante :

« Ils n’avaient aucun amour pour leur terre. Ils n’avaient aucun atta­che­ment pour le sol, ils tra­vaillaient leurs fermes comme ils avaient tra­vaillé dans les mines un quart de siècle aupa­ra­vant. Pour gérer les res­sour­ces de cette mer­veilleuse vallée de San Joaquin, ils la considéraient de façon mes­quine, avare, hébraïque. Tirer le maxi­mum de la terre, la pres­su­ri­ser, l’épuiser, sem­blait être leur poli­ti­que. Si, à la fin, la terre s’épuisait, refu­sait de pro­duire, ils inves­ti­raient leur argent ailleurs ; d’ici là, ils auraient tous fait for­tune. Ils s’en fichaient : « Après nous le déluge (27). »

Marx affir­mait que nous obser­vons « les phénomènes qui se pro­dui­sent dans leur forme la plus typi­que » et de son temps cela signi­fiait « pro­duc­tion et éch­ange » et condi­tions des « tra­vailleurs de l’indus­trie et de l’agri­culture » en Angleterre (ceci pour rép­ondre à ceux qui disent que « les chose ne vont pas si mal »là où ils vivent). Les condi­tions toxi­ques de la Vallée cen­trale de Californie affec­tent les vies humai­nes autant que la santé de tout l’écosystème. Si le dével­op­pement capi­ta­liste ne ren­contre pas d’obs­ta­cle, tout ce qui pré­cède nous montre com­ment la crise de surac­cu­mu­la­tion du capi­tal entraîne la dép­oss­ession de la classe ouvrière et la pol­lu­tion de la planète. Comme Marx le prévoyait :

« Le pays le plus développé indus­triel­le­ment ne fait que mon­trer à ceux qui le sui­vent sur l’éch­elle indus­trielle l’image de leur propre avenir. »

De te fabula nar­ra­tur ! (c’est de toi qu’il s’agit dans cette his­toire) Horace (36) »

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NOTES

(1) Le mot « toxic » a été tra­duit par toxi­que, il n’a pas de sens moral, mais est uti­lisé en référ­ence aux actions « toxi­ques » des ban­ques, dès le début de la crise. (NdT.)

(2) Voir « Tranche de vie à Tent City »- sur le cam­pe­ment d’Ontario en Californie, arti­cle mis en ligne le 22 mars 2008 sur le site de l’En-dehors (momen­tanément inac­ces­si­ble). (NdT.)

(3) Source : « Center for Tresponsable Lending », « Foreclosures »,

(4) Fin 2008. Source : agence Bloomberg, 3 février 2009.

(5) Source : 2007 Annual Report du National Law Center on Homeless and Poverty

(6) Ce terme péjo­ratif désigne aux Etats-Unis les mai­sons d’habi­ta­tion prét­enti­euses sin­geant les vieilles demeu­res, mais de cons­truc­tion réc­ente et uti­li­sant des matériaux moder­nes. Voir hou­sing-market-colla

(7) « Exurban sprawl » : litté­ra­lement « éta­lement subur­bain », désigne l’exten­sion des zones résid­enti­elles de faible den­sité qui gri­gno­tent l’espace rural, au-delà des villes et de leurs ban­lieues, pro­vo­quant des conséqu­ences éco­lo­giques néga­tives à grande éch­elle tels que la « pro­tec­tion » de terre enten­due comme la prés­er­vation de res­sour­ces natu­rel­les et de la bio­di­ver­sité. Ces zones incluent les aires com­mer­cia­les le long des routes,à la périphérie des villes et des ban­lieues. Pour plus d’infor­ma­tion : eco­lo­gyand­so­ciety.org

(8) Wall Street Journal, 11 août 2009, p. A3.

(9) Voir les comp­tes rendus de la ren­contre avec « Governator » et le maire à Tent City et d’une visite de soli­da­rité pour aider à cons­truire des toi­let­tes.

(10) Gray Brechin, Farewell, Promised Land : Waking from California Dream, Berkeley, University of California Press, 1999, p. 77.

(11) Source : http://rea­les­tate.yahoo.com/Foreclosures

(12) Source : http://www.frej.net/news/news/2009-…

(13) Source : http://www.ers.usda.gov/StateFacts/…

(14) Source : « Central Valley town owns nation’s dir­tiest air »,

(15) Source : http://per­so­nal­mo­neys­tore.com/money…

(16) http://www. fres­no­bee.com/868/story…

(17)http://www.nyti­mes. com/2009/03/26/…

(18) New Jack City, film amé­ricain de Mario Van Peebles (1991), met en scène deux poli­ciers, l’un d’ori­gine afri­caine, l’autre d’ori­gine ita­lienne, ayant souf­fert de la drogue pen­dant leur enfance, et qui se jurent de dém­an­teler le réseau du chef de gang Nino Brown, qui règne sur Harlem. (NdT.)

(19) Un rés­ultat du mou­ve­ment anti-chi­nois, sou­vent mené par des grou­pes ouvriers autour du slogan « les Chinois doi­vent partir », fut le Chinese Exclusion Act de 1882, qui bloqua l’immi­gra­tion jusqu’en 1943.

(20) On appelle Dust Bowl (litté­ra­lement bol, ou bassin, de pous­sière) une série de tempêtes de pous­sière, véri­table catas­tro­phe éco­lo­gique qui a touché la région des gran­des plai­nes aux Etats-Unis et au Canada, entre 1934 et 1940. La séc­her­esse et de ter­ri­bles tempêtes de pous­sière, qui pou­vaient durer plu­sieurs jours. 3 mil­lions de per­son­nes,sur­tout des famil­les de fer­miers de l’Oklahoma (Okies)et de l’Arkansas (Arkies), émigrèrent vers la Californie. John Steinbeck décrit cette pér­iode dans son roman Les Raisins de la colère. (NdT.)

(21) Les Industrial Workers of the World (litt. « Ouvriers indus­triels du monde ») sont nés en 1905 à Chicago. Après l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917, ce syn­di­cat garda des posi­tions anti­mi­li­ta­ris­tes qui lui valu­rent d’être la cible des « patrio­tes », puis il fut brisé par une série de procès judi­ciai­res et les atta­ques répétées des mili­ces patro­na­les, de la police et de l’armée.Il cessa de comp­ter dans le mou­ve­ment ouvrier amé­ricain au début des années 1920. Les IWW orga­ni­saient les ouvriers au niveau de l’indus­trie et non par métiers comme il était d’usage aux Etats-Unis ; ils ne se sub­sti­tuaient pas aux tra­vailleurs mais ren­forçaient leur auto­no­mie, et refu­saient toutes négoc­iations avec le patro­nat. Ses mili­tants appar­te­naient aux basses cou­ches de la classe ouvrière : tra­vailleurs migrants, sai­son­niers et non qua­li­fiés de toutes sortes, que le prin­ci­pal syn­di­cat de l’époque, l’American Federation of Labor (Fédération amé­ric­aine du tra­vail), fondée en 1886, igno­rait au profit de l’orga­ni­sa­tion des seuls tra­vailleurs qua­li­fiés.

Voir, sur les IWW : Larry Portis, IWW. Le Syndicalisme révo­luti­onn­aire aux Etats-Unis, éd. Spartacus, réédité en 2003, et Franklin Rosemont, Joe Hill : les IWW et la création d’une contre-culture ouvrière révo­luti­onn­aire, Editions CNT-Région pari­sienne [on peut consul­ter Joe Hill. Les IWW et la création d’une contre-culture ouvrière, note de lec­ture de Loren Goldner. (NdT.)

(22) Hobo : tra­vailleur itinérant, jeté sur les routes par la révo­lution indus­trielle et le capi­ta­lisme sau­vage de la fin du XIXe siècle, le hobo cons­ti­tuait une rés­erve de main-d’œuvre mobi­li­sa­ble n’importe où dans le pays. Son mode de trans­port pri­vilégié était le voyage clan­des­tin en train de mar­chan­di­ses. Travailleur géné­ra­lement sans qua­li­fi­ca­tion, sou­vent doté d’une cons­cience poli­ti­que et d’un bagage cultu­rel, le hobo était emblé­ma­tique de l’IWW. Voir en français un ouvrage socio­lo­gi­que écrit par un ancien hobo : Nels Anderson, Le Hobo. Sociologie du sans-abri, éd. Nathan, 1993 ; et l’auto­bio­gra­phie d’une femme hobo : Boxcar Bertha, éd. L’Insomniaque, 1994. (NdT.)

(23) Edward W.Soja, Postmodern Geographies : The Reassertion of Space in Critical Social Theory, Londres, Verso, 1990. P. 191

(24) On trouve une défi­nition cohér­ente sur le site de

(25) Loren Goldner, {Ubu Saved from Drowning}, Cambridge, Mass. : Queequeg Publications, 2000. P. 85

(26) Source : http://fore­cast.paci­fic.edu/arti­cles/PacificBFC_Fish%20or%20Fo­re­clo­sure.pdf‘, Perspectives Internationalistes le 11 août 2009.

(27) http:// www.michael­pol­lan.com/artic…

(28) http:// www.cen­tral­val­ley­bu­si­nessti…

(29) D’après une étude de la American Lung Associated sur les villes les plus pol­luées, publiée le 29 avril 2009.

(30) http://www. women­shealth­mag.com/fil…, 26 déc­embre 2008.

(31) C’est en 1968 que fut créé le drai­nage de 134 km de long de San Luis ; le rés­ervoir consis­tant en douze étangs d’éva­po­rationà l’intérieur de la rés­erve natu­relle de Kesterson, fut achevé en 1971. Le sélénium s’accu­mula peu à peu, et c’est à partir de 1981 que furent cons­tatées la dis­pa­ri­tion des espèces sau­va­ges de pois­sons et d’oiseaux et les mal­for­ma­tions et l’empoi­son­ne­ment du bétail. Les concen­tra­tions de sélénium cons­tatées à Kesterton étaient supéri­eures à 1 400 micro­gram­mes par litre. Le seuil de toxi­cité du sélénium est estimé à 0,5 mg.ou 0,7 mg/jour.

Ce n’est qu’en 1987 que le résevoir fut déclaré zone toxi­que. (NdT.)

(32) Gray Brechin : Farewell, Promised Land…, op. cit., p. 168

(33) CDO : pro­duit finan­cier assis sur l’endet­te­ment des par­ti­cu­liers, sur­tout dans l’immo­bi­lier. (pour col­la­te­ra­li­zed debt obli­ga­tion, en français, « obli­ga­tion adossée à des actifs »). (NdT.)

(34) Wall Street Journal, 6 août 2009. p. D1, D4 – et New York Times, 7 octo­bre 2009

(35) Frank Norris, The Octopus : A Story of California, 1901, rééd. New York : Penguin Books, 1986, p. 298.

(36) Karl Marx, Le Capital : une cri­ti­que de l’éco­nomie poli­ti­que, Livre pre­mier, pré­face de la pre­mière édition alle­mande.