Interview avec ZigZag sur le mouvement Idle No More

zz_int5Entretien réalisé en janvier 2013 pour le blog Sketchythoughts. La traduction a été réalisé à plusieurs mains…

Zig Zag, aussi connu sous le nom de Gord Hill, est un indien Kwakwaka’wakw et qui est un participant de longue date des mouvements de résistance anticoloniaux et anticapitalistes au «Canada». Gord est l’auteur du 500 Years of Indigenous Resistance Comic Book et du The Anti-Capitalist Resistance Comic Book. Il s’occupe aussi du blog warriorpublications.wordpress.com.

 «Dans tout mouvement de libération, il y a des luttes internes et des luttes externes»

Quelles sont les conditions de vie des peuples indigènes aujourd’hui dans les frontières de ce qui est appelé le «canada» ?

ZZ : Les peuples autochtones au Canada connaissent les plus hauts niveaux de pauvreté, de morts violentes, de maladies, d’emprisonnement et de suicide. Beaucoup vivent dans des cabanons et n’ont pas accès à l’eau potable, et un certain nombre de territoires sont si contaminés qu’ils ne peuvent plus avoir accès à leurs moyens traditionnels de subsistance. Dans les territoires situés autour des sables bitumineux dans le nord de l’Alberta, par exemple, non seulement poissons et animaux sont retrouvés avec des déformations, mais les gens eux-mêmes sont victimes des plus hauts taux de cancer. C’est un génocide.

L’expropriation a été un phénomène central dans le colonialisme et le génocide au canada. Est-ce que tu peux nous donner des exemples de comment les gens ont résisté aux expropriations dans le passé ?

ZZ : Jusqu’aux années 1890, les peuples autochtones avaient des capacités militaires pour résister à la dépossession. Plus récemment, il y a eu plusieurs exemples comme Oka en 1990, Ipperwash en 1995, Sutikalh en 2000, Six Nations en 2006, etc. À Oka, c’est la résistance armée qui a mis un terme à l’expansion du club de golf et à un projet de condominiums (NdT : sorte de copropriété-ghetto pour riches). À Ipperwash, les gens ont réoccupé leur réserve dont ils avaient été expropriés durant la seconde guerre mondiale et ils y sont encore aujourd’hui. À Sutikalh, les St’at’imc ont construit un camp de réoccupation pour empêcher la construction d’une station de ski de coûtant 530 millions de dollars. Ils ont réussi et le camp est encore là aujourd’hui. À Six Nations, ils ont réoccupé leurs terres et bloqué la construction d’un projet de condos.

L’État canadien a une armée, des prisons, des forces policières et le soutien de millions de personnes – en plus du fait qu’il est complètement intégré au capitalisme mondial, à la fois comme une source majeure de ressources naturelles et un partenaire impérialiste indéniable. Quelles possibilités les peuples autochtones ont pour détruire le système avec succès et résister au colonialisme canadien ? Quelle est l’importance stratégique de la résistance autochtone ?

ZZ : Les peuples autochtones doivent construire des alliances avec d’autres secteurs sociaux qui s’organisent aussi contre le système. L’importance stratégique des peuples autochtones réside dans leur potentiel grand esprit de combat, leurs plus puissantes bases d’organisation dans leurs communautés, leur capacité d’avoir un impact majeur sur les infrastructures (comme les voies ferrées, les autoroutes, etc., qui passent à travers ou pas loin des réserves). Enfin, ces exemples de résistance indienne peuvent influencer d’autres mouvements sociaux.

Que sont les projets de lois C-38 et C-45 et comment s’intègrent-ils dans le contexte économique et politique global ?

ZZ : Les projets de loi C-38 et C-45 sont des projets de loi omnibus que le gouvernement a passé dans le but de renforcir son budget. Ils incluent des révisions significatives de plusieurs lois fédérales, y inclut la Loi sur la protection des eaux navigables, des mesures environnementales et la Loi sur les Indiens. Elles sont généralement vues comme facilitant un contrôle corporatif plus grand des ressources, comme des mines ainsi que du pétrole et du gaz. Les amendements à la Loi sur les Indiens ont des impacts sur la capacité des conseils de bande à louer les terres des réserves. Ce mouvement de nette ouverture de l’accès aux ressources pour les compagnie, en enlevant les protections de plusieurs rivières et lacs et en «simplifiant» les mesures de protection environnementale, a clairement l’intention d’accroître le potentiel du Canada en tant que source de ressources naturelles et de renverser l’opposition publique aux projets majeurs comme celui du pipeline Enbridge Northern Gateway (NdT : pipeline que la compagnie Enbridge veut construire sur les territoires souverains des autochtones du nord du centre de la «Colombie-Britannique») et bien d’autres.

Y a-t-il quelque chose de nouveau ou bien est-ce que ça reste finalement dans la vieille tradition de l’État canadien ?

ZZ : Ces projets de loi sont en partie nouveaux en ce qu’ils visent à faciliter encore plus l’accès corporatif aux ressources, premièrement dans les changements qu’ils apportent aux mesures environnementales et à la Loi sur la protection des eaux navigables. Ce sont des mesures qui ont pour but de repositionner le Canada comme une source majeure de pétrole et de gaz pour le marché global et particulièrement pour les marchés asiatiques, en diversifiant les débouchés des exportations canadiennes de ce type de ressources plutôt que de les concentrer vers les États-Unis, dont l’économie continue de décliner. En même temps, ils sont en continuité avec les politiques adoptées par le gouvernement fédéral depuis maintenant plusieurs années, qui incluent des projets majeurs comme les sables bitumineux de l’Alberta et les projets de pipelines. Ces politiques sont le résultat d’une idéologie néo-libérale que les États ont appliquée dans les dernières décennies.

Que doit-on penser du mouvement Idle No More qui a émergé dans les 6 dernières semaines ?

ZZ : C’est un mouvement similaire à Occupy qui révèle une aspiration au changement parmi les autochtones de la base, mais c’est aussi réformiste et dénué de toute perspective anticoloniale et anticapitaliste. Ça vise surtout des réformes politico-légales spécifiquement reliées au projet de loi C-45 (qui a été adopté au milieu du mois de décembre). Bien qu’il ait mobilisé des milliers d’autochtones, ce n’est que pour créer une pression politique sur le gouvernement. Les quatre femmes de la Saskatchewan qui ont fondé le mouvement sont des avocates, des universitaires et des business women, alors ce n’est pas une surprise si toute la trajectoire de ce mouvement a été centralisée autour de réformes politico-légales. Pam Palmater, une avocate et chargée de la chaire en gouvernance autochtone (Indigenous Governance) de l’Université de Ryerson, est une autre importante porte-parole d’Idle No More. L’été dernier, Palmater a mené une campagne contre Shawn Atleo pour la position de «grand chef» ( »grand chief ») de l’Assemblée des Premières Nations.

Comme ce n’est ni anticolonial ni anticapitaliste, Idle No More a été une plateforme confortable pour les chefs de la Loi sur les Indiens et les membres de l’élite d’affaires aborigène. Plusieurs d’entre eux/elles ont de fait aidé à orchestrer les manifestations nationales et les blocus qui ont eu lieu. En fait, INM (Idle No More) s’est constitué très tôt en allié des chefs de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario. Ce sont des chefs de ces provinces qui ont essayé symboliquement d’entrer dans la Chambre des communes le 4 décembre, un événement qui a lancé de plusieurs façons le mouvement Idle No More et qui a fait du 10 décembre une journée d’action.

Ces chefs sont opposés à Atleo, supportent Palmater et ont été la force majeure derrière la majorité des manifestations et des blocus qui ont eu lieu dans leurs provinces respectives (avec des exceptions notables, dont les blocus de train à Tyendinaga).

L’implication des conseils de bande a aidé à étouffer toute forme d’auto-organisation des gens de la base. Les méthodes réformistes dont les fondatrices originales ont fait la promotion incluaient l’imposition de méthodes pacifistes, ce qui a refroidi l’esprit guerrier des gens en général. Un autre important facteur de la mobilisation d’INM a été le jeûne de Theresa Spence, une cheffe de la Loi sur les Indiens, à Ottawa. Cela a motivé plusieurs autochtones à participer à INM en raison des aspects émotionnels et pseudo-spirituels du jeûne (une «grève de la faim» jusqu’à la mort). Malgré les louanges adressées à Spence, elle a révélé ses véritables intentions à la fin décembre quand elle a rendu public son appel pour que les chefs «prennent le contrôle» sur les mouvements de base.

Ce que tu soulignes semble être une analyse de classe d’INM. Certaines personnes disent que l’analyse de classe est incompatible avec l’analyse anticoloniale, qu’elle sème des divisions ou qu’elle impose un cadre européen qui n’est pas pertinent pour les autochtones. Qu’est-ce que vous en faites ?

ZZ : Le processus de colonisation impose la division capitaliste de classes aux autochtones. Les conseils de bande et l’élite d’affaires aborigène sont des preuves de cela. Dans le contexte des divisions capitalistes de classes, de nouvelles élites politiques et économiques sont établies qui ont plus à gagner de l’assimilation et de la collaboration, malgré les mouvements de réforme dans lesquels elles peuvent être impliquées. En tant qu’élites politiques et économiques séparées, elles ont leurs propres intérêts qui ne sont pas les mêmes que ceux des plus appauvris et opprimés qui composent la majeure partie des autochtones de la base. Les élites de classe moyenne sont capables d’imposer leurs propres croyances et méthodes aux mouvements de base grâce à leur plus grand accès aux ressources et leur plus grand contrôle sur ces ressources (incluant l’argent, les communications, les transports, etc.).

Pour qu’un réel mouvement autonome autochtone de base, décentralisé et auto-organisé, puisse prendre forme, le problème que représentent les élites de classe moyenne, incluant les conseils de bande, doit être résolu. Je dois dire aussi que dans tout mouvement de libération il existe des luttes internes et des luttes externes. Les luttes internes déterminent les méthodes et les objectifs généraux du mouvement et donc elles ne peuvent pas être réduites au silence ou marginalisées sous prétexte de préserver une «unité» non-existante. De fait, il ne peut y avoir de gains majeurs dans la lutte externe contre l’ennemi principal (l’État et le capital) avant que les luttes internes soient clarifiées.

Le 11 janvier fut le jour où Harper était supposé rencontrer Spence et les autres chefs de partout au Canada. Mais le jour venu, Spence et la plupart des autres chefs ont choisi de boycotter cette rencontre à cause des magouilles d’Harper, et Spence a annoncé qu’elle continuerait sa grève de la faim. Est-ce qu’il s’agit d’une division profonde et est-ce que ça signifie que quelques chefs sont entrés en rupture avec l’agenda néocolonial et sont en train de développer un potentiel radical ?

ZZ : Il y a toujours eu des divisions au sein de l’Assemblée des Premières Nations et entre les régions. Comme je l’ai mentionné, certains chefs de la Loi sur les Indiens, surtout en Saskatchewan, en Ontario et au Manitoba, ont été à la base de plusieurs des manifestations et sont entrés en rupture avec l’agenda de l’APN (Assemblée des Premières Nations). Cela ne doit pas être interprété comme une preuve qu’ils sont plus radicaux, mais plutôt qu’ils ont leur propre agenda. Le «grand chef» Nepinak de l’Assemblée des chefs du Manitoba, l’aile provinciale de l’APN, a été très actif dans la promotion des manifestations, des blocus et autres actions d’Idle No More. Mais l’Assemblée des chefs du Manitoba de Nepinak souffre de coupures budgétaires massives annoncées au début septembre. Son organisation va voir son financement annuel réduit de 2,6 millions à 500 000 $. Il lutte pour sa carrière politique et économique et a peu à perdre en mobilisant pour plus d’actions de la base, mais cela ne signifie pas qu’il est plus «radical» maintenant. Plutôt, les conseils de bande et les chefs doivent être compris comme ayant leurs propres agendas à l’intérieur des luttes de pouvoir au sein de l’État. Plusieurs sont trompés par la rhétorique et la symbolique des blocus, mais ce sont de vieilles tactiques de la part des chefs de la Loi sur les Indiens.

En plus de leurs luttes pour le maintien de leurs organisations provinciales et régionales (comme l’Assemblée des chefs du Manitoba ou des conseils tribaux), qui contribuent à la participation des conseils de bande à travers tout le pays à la mobilisation pour Idle No More, les chefs de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario, ont leur propre lutte politique à mener contre Atleo et ont leur propre vision du développement économique plus général. Ce sont ces chefs de ces provinces qui ont boycotté le meeting entre le premier ministre et Atleo et qui ont appelé à une journée nationale d’action le 16 janvier.

Les délégations de ces chefs ont voyagé à travers l’Asie, le Venezuela et l’Iran à la recherche d’investisseurs corporatifs, spécialement dans l’industrie du pétrole et du gaz. Le chef Wallace Fox de l’Onion Lake Cree Nation, un de ceux sur les premières lignes des récents événements et quelqu’un qui a fait des critiques très publiques à l’encontre d’Atleo, est le chef de la bande autochtone la plus productrice de pétrole au pays (située entre l’Alberta et la Saskatchewan). Fox et les autres chefs ont aussi essayé d’avoir accès à l’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, pour faire des partenariats avec des corporations. Nepinak et les autres chefs ont aussi rencontré des fonctionnaires chinois en décembre, qui cherchent aussi à réaliser de possibles partenariats.

L’argumentaire de ces chefs, de Palmater et de leurs alliéEs dans Idle No More (les quatre «fondatrices officielles»), est qu’Atleo collabore à la stratégie d’assimilation du régime d’Harper. Pendant ce temps, ce sont eux qui cherchent à prendre le contrôle de l’Assemblée des Premières Nations et à imposer leur propre version du capitalisme aborigène, basé en partie sur l’investissement étranger dans les industries du secteur des ressources. Ironiquement bien sûr, plusieurs participants d’INM se sont ralliés pour défendre la Terre-Mère et se voient utilisés comme des pions dans une lutte de pouvoir entre différentes fractions de l’élite économique aborigène. Plusieurs participantEs d’Idle No More, je dois dire, ne sont pas au courant de ces dynamiques internes. Leur mobilisation sous les slogans de “stop bill c-45″ («arrêtons le projet de loi C-45»),  »defend land and water » («défendons la terre et l’eau»), etc., sont des aspects positifs d’INM et démontrent un grand potentiel pour des mouvements de base. Mais c’est quelque chose qui n’en est qu’à ses balbutiements et pour avancer le mouvement va devoir se débarrasser de la participation parasitaire et du contrôle des chefs de la Loi sur les Indiens comme des élites de la classe moyenne.

Il y avait des centaines d’actions Idle No More le 11 janvier. Ici à Montréal, environ trois milles personnes ont manifesté, de loin la plus grosse manifestation reliée à des enjeux autochtones que j’aille vu dans cette ville. En même temps, la manifestation était composée de manière écrasante de non-autochtones, allant de radicaux anticapitalistes aux membres de groupes nationalistes québécois et sociaux-démocrates. Cela semblait aller dans le sens de la stratégie d’INM de présenter le mouvement comme représentant tous les canadiens. Comment cela est compatible avec cette perspective anticoloniale et quelles sont les forces et les faiblesses de ce support si divers ?

ZZ : La première priorité et le principal focus d’un mouvement de libération anticoloniale se doivent d’être ses propres personnes. C’est comme cela qu’il développe ses méthodes et ses pratiques autonomes, libre de toute ingérence de l’extérieur. Cela aide à unifier le mouvement et à établir une force sociale indépendante. Les alliances sont clairement nécessaires, et bien que l’ultime but pourrait être un mouvement multinational de résistance, le colonialisme et leur histoire unique tout comme les conditions socioéconomiques des peuples autochtones indiquent la nécessité pour les autochtones d’être capables de s’organiser indépendament des autres secteurs sociaux.

Je pense qu’en principe le fait de présenter Idle No More comme représentant tous les canadiens est correct, mais la manière dont ils le font dilue et minimise l’analyse anticoloniale qui est nécessaire au changement social radical. En essayant d’attirer le «citoyen canadien», il peut attirer plus de sympathie, mais à quelle fin ? Cela va affaiblir la résistance anticoloniale. Même maintenant, vous pouvez voir les appels constants à des manifestations «pacifiques» des tenants du mouvement Idle No More tout comme des déclarations des «fondatrices officielles» indiquant qu’elles ne supportent pas les actions «illégales» comme les blocus. Ils se sentent vraiment susceptibles face à toute perte d’appui public, clamant que c’est un mouvement «éducatif» et qu’ils ne veulent pas causer d’inconvénients aux citoyens. Les réformistes peuvent dire que c’est comme ça que nous pouvons bâtir un mouvement plus large pour défaire le projet de loi C-45, mais clairement ces projets de lois sont juste une partie d’un problème systémique plus large que nous pouvons identifier comme étant le colonialisme et le capitalisme. Si nous ignorons les causes plus profondes, nous nous retrouverons à faire la même chose l’année prochaine contre une autre série de projets de lois. En plus, baser la résistance anticoloniale sur l’opinion des populations coloniales ne mènera jamais à la libération.

Il apparaît qu’à travers le monde entier nous sommes entrés dans une période de soulèvements comme Idle No More, que ce soit le Printemps arabe ou les récentes manifestations contre le viol en Inde; dans chacun de ces cas, des masses de gens en ont assez et sont prêts à se mettre en action, mais, pour le meilleur ou pour le pire, ces mouvements ne sont pas en continuité avec les groupes et les traditions anti-impérialistes et anticapitalistes. Est-ce que c’est le signe d’un échec de notre part, qu’une fois que surviennent des révoltes, nous n’avons pas de liens avec les gens qui y participent ? Ou s’agit-il d’autre chose ?

ZZ : Je dirais que ces mobilisations sont en partie basées sur l’utilisation des médias sociaux pour faire circuler l’information et coordonner les actions. Certainement durant le Printemps arabe, Occupy et maintenant Idle No More, cela a été une composante significative de la mobilisation qui a eu lieu. Il apparaît que plus de gens ont été influencés par ces révoltes sociales et ces mobilisations, qu’ils ont décidé d’agir d’une quelconque manière et que l’Internet leur a donné le pouvoir d’organiser des manifestations, etc. Pour faire cela, ils n’ont pas besoin des groupes radicaux qui existent déjà et il est possible qu’ils ne connaissent même pas leur existence.

Cela a mené vers des situations où des mobilisations ont été appelées, se sont mises en marche et se sont étendues – mais où les gens avaient des analyses de courte vue du système et un manque d’expérience d’une réelle résistance. À la fois dans Occupy et Idle No More, nous avons des organisateurs inexpérimentés qui croient qu’elles ont réinventé la roue, qui sentent qu’ils connaissent le mieux comment ces mouvements sociaux devraient se conduire, etc. Au mieux, ces mobilisations montrent comment une aspiration de changement social existe chez un nombre grandissant de personnes, mais que les médias sociaux leur permettent de faire fi des groupes ayant plus d’expérience et étant plus radicaux et leur naïveté les conduit à penser que ces groupes ont échoué parce qu’ils étaient trop radicaux. Alors, ils en appellent aux slogans les plus simplistes et populistes, aux formes les moins menaçantes d’action, etc.

Si les groupes radicaux sont quelque peu déconnectés de ces types de mobilisations, je ne sais pas si je caractériserais ça comme un échec de leur part. Ce ne sont pas des révoltes, ce sont surtout des ralliements réformistes sans analyse radicale dominés par des libéraux et des pacifistes, des organisateurs de la classe moyenne, etc. Jusqu’à ce qu’ils soient radicalisés, il y a peu de possibilités pour les radicaux d’y être complètement impliqués. Un autre aspect de ce type de mobilisations est leur durée relativement courte. Avec quelques exceptions (comme à Oakland), Occupy était fini trois ou quatre mois après son commencement. Combien de temps INM va-t-il durer ?

Bien que leur leadership puisse être néocolonial et de la classe moyenne, sûrement plusieurs gens de la base qui y participent ne le sont pas. Quelle position les groupes autochtones anticoloniaux doivent-ils adopter vis-à-vis de ces mobilisations de masse ? Est-ce qu’il y a des approches spécifiques qui sont plus efficaces que d’autres ? Est-ce qu’il y a des choses qu’ils doivent éviter ?

ZZ : Je dirais que les groupes autochtones anticoloniaux doivent s’engager dans ces mouvements de manière critique et non simplement comme des cheerleaders. Quand de larges masses de gens sont mobilisées et en marche, ça signifie qu’ils pensent et discutent des concepts comme le colonialisme, des tactiques, des stratégies, des méthodes, etc. Alors c’est un bon moment pour contribuer à des analyses radicales anticoloniales et anticapitalistes, même si certains participants de ce mouvement pourront penser que ces débats «divisent» les gens. J’éviterais de dénoncer ces mouvements ou de m’y opposer, cela va de soi, parce qu’ils comportent des aspects positifs et négatifs. Promouvoir le positif et essayer de mettre en lumière le négatif, les contradictions, etc. Comme plusieurs participants sont nouveaux et inexpérimentés, les groupes anticoloniaux ont beaucoup à contribuer pour étendre ces mouvements et à les radicaliser.

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GLOSSAIRE : Comment la Loi sur les Indiens a fait agir des indiens comme des indiens de la Loi sur les Indiens

Qu’est-ce que l’assimilation ?

L’assimilation est la fusion d’une entité, d’un groupe, dans un autre. En Amérique du Nord, cela a impliqué la destruction des cultures autochtones traditionnelles et la substitution des formes d’organisation sociale des autochtones par des formes européennes.

Afin de réaliser ce processus, les autochtones devaient être affaiblis préalablement par un état de guerre biologique et par la violence militaire. Par la suite, ils ont été forcés à vivre dans des réserves où ils ont été assujettis à des politiques d’assimilation.

Ces politiques incluaient la christianisation et les écoles résidentielles (dirigées par les Églises). Jusqu’aux années 70, des générations d’enfants et de jeunes autochtones ont été forcés de fréquenter les écoles résidentielles, se sont faits interdire de pratiquer leur culture (incluant leur langue) et ont été  endoctrinés
aux valeurs et manières de vivre européennes.

Aujourd’hui, cette assimilation se poursuit à travers le système d’éducation tout comme à travers les médias corporatistes ainsi que les industries du divertissement. À travers ceux-ci, nos visions, nos croyances et nos valeurs sont fabriquées par le système.

Le succès de cette assimilation peut être mesuré par la puissance avec laquelle une personne a intégré ces valeurs et comportements comme étant les siens, ce qui se reflètent dans sa façon de vivre. Aujourd’hui, plusieurs de ces autochtones assimilés voient le fait d’avoir un emploi, de l’argent et des possessions matérielles comme étant des objectifs positifs de vie.

Qu’est-ce que la Loi sur les Indiens ?

La Loi sur les Indiens est une loi qui fut adoptée la première fois en 1876. Elle a imposé le contrôle de l’État sur les autochtones, couvrant tous les aspects de la vie quotidienne. Cette loi focalise sur trois domaines particulièrement : conseils de bande, réserves et statuts (statuts de membres). Son but principal était (et est encore) le contrôle et l’assimilation des autochtones par le Canada.
Cette Loi était une série de lois qui devait temporairement exister jusqu’à l’assimilation complète des autochtones.

Qu’est-ce qu’un conseil de bande ?

Sous la Loi sur les Indiens, de 1876, une bande est »un groupe d’Indiens vivant sur une réserve désignée et dont l’argent est conservé par la Couronne » (le gouvernement du Canada). Un conseil de bande inclut un chef et un certain nombre de conseillers, habituellement élus par les membres de la bande. Le conseil de bande est équivalent à une municipalité ou à un conseil de village et le chef au maire. Les conseils de bande ont remplacé les formes traditionnelles d’organisation sociale. Plusieurs des premiers conseils de bande ont été organisés par les missionnaires qui les utilisaient pour exercer leur contrôle sur les communautés.

Un conseil de bande tire son autorité de gouverner de la Loi sur les Indiens et est assujetti aux lois provinciales et fédérales tout comme au Ministère des affaires autochtones (autrefois qualifiées « d’affaires indiennes »). Il tient son pouvoir de l’argent et des ressources que lui procure l’État. Ils sont utilisés à la discrétion du chef et du conseil. Cela leur procure un immense contrôle et une immense influence sur leur communauté (comme il en est l’intention).

Qu’est qu’une réserve ?

Sous la Loi sur les Indiens, de 1876, une réserve est »une terre de la Couronne désignée à l’usage d’une bande indienne ». La terre appartient au Canada, mais est »réservée » pour son utilisation par les Indiens. Comme la Loi sur les Indiens, les réserves devaient être temporaires ; la terre devait être utilisée pour le logement et l’établissement d’une économie autosuffisante (un élément nécessaire de l’assimilation).

Qu’est-ce que le Ministère des affaires indiennes (maintenant Ministère des affaires autochtones) ?

Le Ministère (actuellement Ministère des affaires autochtones et Développement du Nord) est le ministère fédéral responsable de l’administration de la Loi sur les Indiens sur 609 bandes (c’est le chiffre qui apparaît dans le texte original) partout au Canada. Il possède un budget annuel de 6 milliards (Ce chiffre est tiré du texte original. Le budget serait d’à peu près de 7 milliards aujourd’hui) qui est distribué aux conseils de bande à la fois comme forme de contrôle et pour assurer que les politiques gouvernementales soient appliquées. Le premier Ministère des affaires indiennes a été formé en 1755 comme une partie de l’armée britannique en Amérique du Nord. Plusieurs de ses premiers responsables furent des officiers militaires.

Quelle est la stratégie de l’État sur la « Loi sur les Indiens » ?

La stratégie de l’État est de mettre un terme à la Loi sur les Indiens et à tous les statuts spéciaux pour les autochtones et les terres des réserves. Cela a toujours été leur but à long terme parce que pour l’État cela signifierait l’assimilation légale (ainsi que politique et économique) complète des autochtones. En 1969, le Canada a proposé l’abolition de la Loi sur les Indiens et du Ministère des affaires indiennes (proposition appelée le « White Paper »), mais cette proposition a été l’objet d’une opposition puissante de la part des autochtones.

Aujourd’hui, les gouvernements et les chefs en appellent à la fin de la Loi sur les Indiens qu’ils disent être un obstacle au progrès économique. C’est certain que nous pouvons nous demander comment les autochtones pourraient être assimilés s’ils continuent d’être l’objet de statuts spéciaux (incluant les réserves) ?

Qu’est-ce que l’autonomie gouvernementale ?

L’autonomie gouvernementale est le plan actuel d’assimilation du gouvernement. Il implique de transformer les conseils de bande en gouvernements municipaux, avec des pouvoirs et des responsabilités similaires. Sous l’autonomie gouvernementale, les bandes obtiennent plus de contrôle sur leurs terres, leurs ressources, leurs finances et leur gouvernance locale. Vendre ou louer la terre, l’exploitation des ressources et la taxation sont vus comme étant les principaux moyens d’atteindre une autosuffisance économique. Dans ce sens, l’autonomie gouvernementale serait vraiment l’auto-administration de notre propre oppression.

Qu’est-ce que l’« élite économique aborigène » ?

L’élite économique aborigène sont des autochtones qui ont construit leur richesse, leurs statuts et leur pouvoir à travers leur implication dans le système de la Loi sur les Indiens ou à travers leur association avec celui-ci. La majeure partie de la richesse de cette élite provient des subventions gouvernementales et des corporations.

Aujourd’hui, plusieurs des bandes ont des budgets de plusieurs millions de dollars et les multiplient en s’impliquant comme des corporations autochtones dans divers secteurs d’affaires ( coupe forestière, mines, location des terres de la réserve, dépotoirs, compagnies d’aviation, l’embouteillage d’eau, etc.). Autrefois, moins d’une centaine d’années auparavant, les bandes étaient directement administrées par le Ministères des affaires indiennes et ses « agents indiens » (agents des « affaires indiennes »). Qu’est-ce qui a changé ?
Dans les années 60, les « agents indiens » ont commencé à être déphasés. Ils ont été remplacés par des chefs et des conseillers formés par le Ministère des affaires indiennes pour appliquer les programmes gouvernementaux et pour administrer les conseils de bande. Aussi, dans les années 70, des milliers d’autochtones ont commencé à fréquenter les collèges et les universités. À partir des années 80, autour de 30 000 autochtones étaient allés à l’université
pour étudier l’économie, la science politique et les lois, aptitudes qui prenaient de la valeur quand ils retournaient dans leurs réserves et commençaient leurs carrières dans le système de la Loi sur les Indiens.

En retour de leur collaboration, plusieurs des chefs et des conseillers jouissent de richesse matérielle et de luxe. Leur collaboration implique d’améliorer la capacité des corporations à exploiter les richesses naturelles et le maintien d’un système d’oppression sur les autochtones.