North Dakota, Road 85, la nouvelle ruée vers l’or noir.

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150 kilomètres de route rectiligne au milieu de la pampa, du wilderness, et des pâturages à perte de vue du Dakota du Nord. Mais depuis quelques années, cette ancienne terre de bisons et d’indiens, constitue le nouvel eldorado américain, paradis moderne pour quiconque veut se faire un bon petit paquet  d’oseille sans trop craindre les boues toxiques engendrées par l’extraction des pétroles et autres gaz de schiste. Voilà que ce petit tronçon de route est devenu en cinq ou six années, le nouveau centre stratégique de la production d’hydrocarbures des Etats-Unis. Ces derniers seraient, avec cette découverte, à nouveau quasi autonomes au niveau énergétique. Et les experts et autres ingénieurs de service d’assurer qu’il y en a encore pour 15 bonnes années à extirper la substantifique moelle,  les 7 milliards de barils qui s’y trouvent. Alors, les gars accourent de tous les Etats, qui pour conduire les camions, qui pour les réparer, qui pour bosser au fracking, qui pour construire la 2×3 voies… En espérant ainsi pouvoir rembourser le crédit contracté au pays, éponger leur dettes, voire même peut-être mettre un peu d’argent de côté. Les salaires sont encore élevés pour l’instant, de l’ordre de 10000 dollars par mois d’après les chiffres officiels. 65000 jobs ont déjà été pris et au moins 20000 autres attendent preneurs. Mais quand la main d’œuvre se fera moins rare et que les postes seront tous pourvus gageons que les patrons s’empresseront de baisser les payes… Que restera-t-il  alors ? Seulement les conditions précaires de travail à bosser durement plus d’heures par jour qu’il n’y en a de soleil en hiver ? Seulement les caravanes pourries dans lesquelles on loge pour ne pas voir toute sa thune partir en motel ? Ou bien, une région sinistrée aux sols ravagés ? On verra bien. Pour l’instant c’est la ruée vers l’or.

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Tout le monde veut faire de l’argent, et pas seulement les ouvriers endettés. Les requins habituels de l’immobilier se sont eux aussi rencardés à Watford City et Williston, les deux villes du boom.  Chambres d’hôtels ou de motel à 600 dollars la semaine ! Et construction en dur type petits HLMs pour stocker les travailleurs pas trop loin des chantiers. Les constructeurs et vendeurs de mobiles homes ont également su profiter de l’aubaine. Ils les vendent soit à l’unité directement à l’ouvrier qui se trouve un lopin  pour le poser, soit créent de toutes pièces  des mini lotissements en les rangeant soigneusement les uns à côté des autres comme de bons vieux baraquements. Les travailleurs les plus pauvres, eux, se contentent de dormir dans le van, le camping-car ou la caravane qu’ils possèdent. Ils se regroupent souvent dans des sortes de campements qui, avec le temps, se sont semble-t-il  vus encadrés de quelques règles pour gérer un peu le merdier. Comme seul loisir, dans ce monde quasi exclusivement masculin, le bar (et encore ils ferment relativement tôt la semaine sans doute pour que les gars puissent être productifs le lendemain) où chacun raconte son pays et les putes affrétées en nombre comme  le reste des marchandises.

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Les sous-sols sont et seront défoncés par le fracking, mais c’est difficile à voir à première vue. Par contre le chantier permanent tout du long de la route 85 saute aux yeux. De  Belfield au sud de l’Etat à Williston (15000 âmes aujourd’hui) en passant par Watford City (4500 habitants), ce ne sont que travaux gigantesques et désordonnés et saccages de béton et d’acier des pâturages. Une armée de bulldozers et d’énormes engins de chantier est nécessaire pour faire de cette route un axe crucial  – à la mesure du nombre de trucks indispensable à l’acheminement des marchandises dans les deux sens. Et, à la perpendiculaire de la road 85, de multiples routes de terre carrossables partent vers les milliers de puits de pétrole, vers les zones d’extraction et les spots de fracking. Les routes et autoroutes semblent surgir de terre jour après jour. On ne compte pas à la dépense, il faut fluidifier le trafic des milliers de camions qui empruntent la route quotidiennement.  Dernier exemple en date, 55 millions de dollars viennent d’être allongés pour la construction imminente d’une rocade de contournement de la bourgade de Watford. Même si le fret n’est pas en reste, car c’est par voie de chemin de fer que les trois quarts des marchandises transitent. Du coup, hop,  une des compagnies de voies ferrées s’est fendu d’un chèque d’un milliard de dollars pour développer et sécuriser les voies dans le secteur. Il n’y a pas de petits investissements. Il n’y a qu’un gigantesque chantier permanent.

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Alors, bien sûr, il y a quelques polémiques à propos de cette colonisation effrénée et  des ravages qu’elle engendre. Les compagnies du pétrole ont beau soulever elles-mêmes quelques points quant à la question environnementale et se gargariser de leurs  fondations œuvrant  préservation de la nature sur quelques parcelles, elles sont responsables du désastre écologique de la région. Elles utilisent la technologie du fracking : ça consiste, en gros, à balancer de l’eau – bourrée de produits chimiques et à extrêmement haute pression – à souvent plus de 3 kilomètres de profondeur pour fracturer les sous-sols et les roches et libérer ainsi les gaz qui s’y trouvaient piégés. Entre autre conséquences : sous-sols défoncés, nappes phréatiques bourrées de produits chimiques, effondrements de terrains. Et donc, en terme plus palpables : terres agricoles polluées, vaches qui perdent leurs queues, difficultés extrêmes pour les agriculteurs. Sans parler des problèmes d’eau, certains ayant été quelque peu inquiets en ouvrant chez eux le robinet de l’évier et en voyant en sortir une eau dégueulasse pleine de gaz inflammable. Alors, que dire ? Il y a bien un petit mouvement écolo qui est parvenu à poser sur la table la question environnementale au niveau national. C’est quasiment devenu un débat public. Pour autant, on voit bien que le combat – si jamais il y en a eu un – est perdu. On sait bien que des logiques imbriquées et bien plus imposantes sont à l’œuvre : celle de l’Etat fédéral et de sa course à l’énergie, et celle du capitalisme prédateur dans sa course au billet vert. Alors, ruons-nous. Fonçons sur la Road 85, tant qu’il est encore temps. Y en aura pas pour tout le monde, et par pour bien longtemps non plus.

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TROIS ARTICLES DE JOURNAUX EN ANNEXES
(traduits par nos soins) :

JUST THE FACTS – Gas oil & Mining Contractor, septembre 2013, Luke Laggis.

RIEN QUE LES FAITS

La Bakken Shale Formation est en plein boom, et, comme le montrent ces chiffres, les résultats sont d’une grande portée.

La Bakken Shale Formation est en plein boom au Montana, au Dakota du Nord et au Dakota du Sud. La zone dépasse la plupart du reste du pays pour tout, du taux de chômage au développement de nouvelles habitations, tout ça grâce au pétrole et au gaz. Ce n’est pas le premier boom pétrolier au Dakota du Nord, mais celui-là semble plus viable à long terme , et un développement rapide suit la ruée pour percer de nouveaux puits. Les chiffres suivants éclairent la croissance explosive de la zone.

Le premier puits de pétrole fut établi juste au sud de Tioga dans le comté de Williams le 4 avril 1951. Le puits a produit plus de 585 000 barils de pétrole en 28 ans.
En janvier 2003, le Dakota du Nord produisit 51 373 barils de pétrole. En janvier 2013, la production de pétrole avait atteint 20 883 546 barils. Entre février et mars de cette année, la production a augmenté de 2 263 801 barils, près de quatre fois le volume de la production de 2003.

Le pétrole a créé plus de 65 000 emplois et ajouté 12 milliards de dollars à l’économie du Dakota du Nord.

En 1995, le U.S. Geological Survey rapportait que la Bakken Formation contenait 151 millions de barils de pétrole techniquement extractibles. Cette estimation a crû de manière spectaculaire jusqu’à 3 puis 4,3 milliards de barils en 2008. La dernière évaluation, achevée en début d’année et qui inclut la profonde Three Forks Formation, présente le chiffre de 7,4 milliards de barils.

Le pétrole du Bakken représente 11 % de la production de pétrole américaine totale.

Le salaire moyen hebdomadaire a augmenté de 19 % dans la zone du Bakken pendant les quatre trimestres de 2011, ce qu’on peut comparer au 4 % d’augmentation dans le reste du Dakota du Nord, 1,9 % d’augmentation dans le Montana, et fondamentalement pas de croissance à l’échelle du pays.

Le revenu par ménage dans la zone du Bakken est plus élevé que dans le reste du Montana, du Dakota du Nord, et de l’ensemble des U.S.A. d’après les données de 2011. Les travailleurs du Bakken touchent environ 200 dollars de plus par semaine que le salaire moyen américain.

Les prêts à la construction et au développement de terrains ont augmenté de 64 %, de 107 millions de dollars à 176 millions entre le 31 mars et le 30 septembre 2012, qu’on peut comparer aux 12 % d’augmentation pour le reste du Dakota du Nord, et à la baisse de 2 % pour le reste du Montana.

En avril 2013, la Bakken Formation avait produit 673 millions de barils de pétrole, Three Forks avait produit 46 millions de barils, et le Bassin de Wiliston en général avait produit 3,3 milliards de barils de pétrole. 

Les baux actuels des compagnies pétrolières versent aux propriétaires de terrains une rente de 20 % ou plus, par rapport à moins de 2 % en 2010. 

L’Etude des routes pétrolières du Dakota du Nord de 2010, a présenté le chiffre de 2 024 allers et retours de camions par puits du Bakken. C’est l’eau qui nécessite le plus de camions (400), suivie des eaux usées (200). Les réservoirs de fracturation (fractanks), le sable, les graviers, les équipements de derricks et de forage, représentent dans cet ordre les plus gros volumes suivants de trafic de camions.

Près des trois quarts du pétrole brut quittant le Bassin de Wiliston sont transportés par chemin de fer.
BNSF Railway a 14 voies ferrées majeures en place ou en construction dans le Bakken.

Wiliston (Dakota du Nord) accueille plus de 400 entreprises de champs pétrolifères, et plus de 31 % des travailleurs contribuent à l’exploitation minière.

L’Agence pour la recherche d’emploi de Wiliston a proposé une moyenne de 46 nouvelles offres par jour en mars, dont 225 offres pour 54 employeurs pétroliers, et 336 postes pour 106 employeurs non-pétroliers.

Les comtés de Williams et de Ward (Dakota du Nord) se sont classés premier et deuxième de la nation pour la croissance de nouveaux logements. Le Dakota du Nord développe les nouveaux logements à un rythme plus rapide que n’importe quel autre Etat, avec 7 388 nouvelles unités ajoutées l’année dernière, et a le taux de croissance le plus fort de la nation avec 2,3 %, selon les estimations du Bureau de recensement américain. La moyenne nationale est de 0,3 %.

Des recherches de pétrole et de gaz ont eu lieu dans tous les comtés du Dakota du Nord sauf le comté de Trail. Le taux de succès des puits horizontaux dans le comté de Mountrail est de plus de 99 %.

Le parc actuel de derricks de forant les puits du Bakken et de Three Forks vont mettre 15-20 ans à développer la totalité de la zone. Avec les meilleures technologies actuelles, il est prévu que 1 à 2 % des réserves pétrolières puissent être extraites.

Le forage et l’achèvement d’un puits moyen du Bakken coûte approximativement 9 millions de dollars.

Le temps de forage moyen d’un puits du Bakken est d’un peu moins à un peu plus de 20 jours, et le temps du premier coup de pioche à l’achèvement est de moins de 110 jours.

WHAT’S GOING ON AROUND HERE ?! – Visitor’s guide, T. Roosevelt National Park, 2013. Journal des Rangers du Parc National

QU’EST-CE QUI SE PASSE DANS LE COIN ?! (sic)

Note : les termes techniques sont traduits absurdement.

Vous êtes étonnés de la quantité de passages de camions dans la zone ? Vous n’arrivez pas à obtenir une réservation dans un hôtel ? Vous ne retrouvez pas les tranquilles villes de cow-boys dont vous vous souveniez ? La raison des incroyables changements que cette région connaît réside deux miles sous la surface de l’ouest du Dakota du Nord – une formation appelée le Bakken. La Bakken Formation est une couche rocheuse riche en réserves de pétrole. Jusque récemment, le pétrole n’était pas extractible. Une nouvelle technique controversée – la fracturation hydraulique ou « fracking » – a permis aux compagnies pétrolières de plus que quadrupler leur production quotidienne de pétrole ces cinq dernières années. L’énorme afflux d’activité a créé des dizaines de milliers de nouveaux emplois dans la région. Au sein d’une économie nationale où les emplois sont rares,  le Dakota du Nord est devenu la « terre des opportunités » pour beaucoup.

Les trois parcs nationaux du Dakota du Nord sont confrontés à de graves questions à cause du boom pétrolier. Des nouveaux puits sont créés chaque mois ; on peut en voir beaucoup de l’intérieur des limites des parcs. Chaque nouveau puits signifie de nouveaux derricks de forage, des rampes (well pad), des pompes, des fosses à gravats (debris pit), des feux (flare pit), des réservoirs de stockage (storage tanks), et des routes d’accès dans le paysage. Chaque nouveau puits nécessite 2 000 allées et venues de camions pour être opérationnel et démarrer le pompage. Le bruit et la poussière des gros camions et de l’équipement de pompage sont constants. De nombreux feux sont visibles dans les cieux des anciennes nuits sombres pour brûler le gaz excédentaire. Les impacts socio-économiques affectent également les communautés locales. Sujet aux facettes nombreuses assurément, le boom pétrolier pose une difficile question : comment développer nos ressources tout en continuant à protéger nos parcs et nos communautés ?


OIL BOOM BOOSTS HOUSEHOLD INCOME – Bakken Breakout Weekly, 26 septembre 2013, James MacPherson, Associated Press, repris dans the Bismarck Tribune.

LE BOOM PÉTROLIER DOPE LES REVENUS DES MÉNAGES

Le boom pétrolier sans précédent du Dakota du Nord a permis d’amener le revenu médian par ménage au-dessus de la moyenne nationale et développé favorablement les salaires de son petit-frère du Sud, d’après les démographes du Dakota.

Les statistiques du Bureau de recensement américain (U.S. Census Bureau) parues jeudi montrent que le revenu médian des ménages a atteint 53 585 dollars cette année, contre 52 763 dollars en 2011. Le revenu médian des ménages de l’Etat a grimpé de plus de 10 % depuis 2008, d’après les chiffres du recensement. 

Kevin Iverson, directeur du Bureau de recensement de l’Etat, a déclaré que le boom pétrolier dans l’ouest de l’Etat a donné un coup aux salaires du Dakota du Nord, qui ont dépassé la moyenne nationale il y a seulement deux ans.

« Il n’y a rien de vraiment surprenant dans ces chiffres », a-t-il déclaré à l’Etude des communautés américaines du Bureau. « Il y a beaucoup plus de gens dans l’Etat en train de gagner beaucoup plus d’argent. »

Le Dakota du Nord est en tête de la nation pour la croissance démographique, et le nombre de résidents de l’Etat est au plus haut niveau de tous les temps, avec plus de 700 000 habitants, d’après le Bureau du recensement. L’économie solide du Dakota du Nord, emmenée par son boom pétrolier dans l’ouest de l’Etat a attiré des milliers de nouveaux résidents ces dernières années.

Le Dakota du Nord est passé de neuvième Etat plus gros producteur de pétrole en 2006 à deuxième, derrière le Texas. L’Etat a quelques 22 000 emplois vacants et le taux de chômage le plus faible de la nation, à moins de 3 %.

Les emplois dans le secteur de l’énergie ont aussi aidé les Etats voisins où les entreprises locales fournissent la zone pétrolifère du Dakota du Nord, et dont les résidents affluent en masse pour occuper les emplois vacants.

« Nous observons un effet d’expansion à travers toute la région », a déclaré Iverson, « c’est une bonne chose car nous n’avons pas la force de travail sur place pour faire face à tout ça. »

Mike McCurry, démographe d’Etat du Dakota du Sud, a déclaré que l’économie forte et diversifiée de son Etat l’a aidé à tenir le coup face à la récession qui affecte le pays depuis cinq ans.

Le revenu médian par ménage de l’Etat a légèrement baissé pour atteindre 48 362 dollars l’année dernière, contre 49 435 en 2011, et 48 192 dollars en 2010.

« Nous n’avons pas été atteint aussi durement par la récession car nous étions en un peu meilleure forme que d’autres Etats et notre rétablissement a été plus rapide », a déclaré McCurry. L’économie du Dakota du Nord a aussi aidé à maintenir stables les niveaux de revenus, avec une partie des résidents traversant la frontière pour trouver du travail ou travaillant pour des entreprises délivrant des services à l’industrie énergétique, a-t-il encore déclaré.

« Je ne crois pas que le Dakota du Nord puisse connaître un boom pétrolier sans affecter ses voisins », a-t-il déclaré.

Mais l’industrie énergétique dominée par les hommes n’a rien fait pour combler l’écart entre les hommes et les femmes dans chacun de ces Etats, annoncent les démographes.

Les chiffres du recensement montrent que le salaire médian des hommes travaillant à plein-temps toute l’année dans le Dakota du Nord a grimpé de 45 620 dollars en 2011 à 45 888 dollars l’année dernière. Pendant le même temps le salaire médian des femmes a stagné à 33 877 dollars. Dans le Dakota du Sud, le salaire médian des hommes a crû de 40 680 dollars en 2011 à 40 721 dollars l’année dernière, pendant que celui des femmes passait de 31 643 dollars à 31 792 dollars.

Les données des Services de l’emploi montrent que les travailleurs de pétrole et du gaz dans le Dakota du Nord ont gagné un salaire moyen de 112 462 dollars l’année dernière.

Iverson a déclaré que les hommes représentent plus de 90 % de la force de travail dans le secteur pétrolier de l’Etat.

« Les immigrants sont de manière écrasante plus des hommes que des femmes », a-t-il dit.

McCurry a raconté qu’il connaissait une femme du Dakota du Sud qui gagnait beaucoup moins d’argent que son fils, qui a quitté le lycée pour conduire un camion dans la zone pétrolifère du Dakota du Nord.

« Il se moque de sa mère parce qu’elle a une maîtrise », a dit McCurry.